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ou tout simplement parce qu’ils se rangeaient dans la catégorie des « bouches inutiles » dont les proclamations avaient parlé; mais le vide laissé par ce nombre restreint d’émigrans, qui comprenait les étrangers et les Allemands expulsés, avait été promptement comblé et au-delà par la masse de paysans, d’habitans des petites villes voisines, qui s’étaient hâtés de venir s’abriter derrière l’enceinte de nos fortifications aussitôt qu’ils avaient entendu retentir la marche de l’armée prussienne. Au mois de décembre 1870, le travail de dénombrement fut complet; Paris avait alors une population de 2,020,017 habitans, dont 234,219 réfugiés. C’est donc sur ce chiffre que portent les observations relatives à la période d’investissement.

Le dernier mois normal de Paris est août 1870; les décès sont de 4,942, c’est une moyenne ordinaire. Dès le mois de septembre, la proportion tend à s’accroître, cependant rien n’a encore manqué aux exigences de la vie matérielle : on a des bestiaux vivans, la température est douce, la nourriture d’aucune sorte n’est rationnée, on a plus d’espérances qu’il n’est raisonnable; mais l’inquiétude vague qui plane partout fait déjà son œuvre, et l’état civil enregistre 5,222 décès. En octobre, la progression est très vive, elle peut faire comprendre vers quelle destinée l’on s’avance ; un mal nouveau va envahir la population et la ravager, car il rendra mortelles des maladies qu’il eût été possible de guérir; 7,543 décès sont inscrits. Novembre n’est pas beaucoup plus meurtrier malgré les brumes et le premier refroidissement de l’atmosphère : il fournit un total de 8,238; mais voici décembre avec les longues nuits énervantes, avec le froid qui sur trente et un jours descend au-dessous de zéro pendant vingt-deux, et atteint le maximum d’intensité le 24 et le 25 par 11 degrés; le mal dont j’ai parlé se développe d’une façon redoutable, c’est l’alcoolisme. On n’a plus à manger que des salaisons, de la viande de cheval débilitante, un pain que les chiens auraient refusé en temps ordinaire; plus de bois pour se chauffer, pour faire cuire les rares alimens que l’on pouvait se procurer en attendant des heures entières à la porte des marchands, les pieds sur le pavé glacé, le corps baigné par d’insupportables courans d’air, à peine quelques bûches enlevées aux arbres de nos promenades, — bûches vertes, humides, baveuses, brûlant mal, ne produisant que de la fumée et ne développant aucune chaleur. Pour résister à tant de causes d’affaiblissement, pour combattre ces deux grands ennemis de la vie, le froid et la faim, la population se mit à boire. Est-il surprenant, après cela, que le mois de décembre se ferme sur 12,885 décès? Le contingent excessif des trois derniers mois modifie tout rapport avec les moyennes des années précédentes :