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vie, malgré toutes les causes de désagrégation dont elle peut être atteinte; 373,163 ménages existaient à Paris en 1872, et, pendant le cours de la même année, le tribunal de première instance n’a reçu que 482 demandes en séparation de corps et 554 en séparation de biens. Quel éloge de nos mœurs conjugales ou de la longanimité des époux!


IV. — LES DÉCÈS.

Paris semble être le pays de la ballade de Bürger; on y peut dire aussi : « Les morts vont vite ! » La moyenne des décès constatés de 1865 à 1869 a été de 46,831 par année : en 1872, la totalité a légèrement fléchi, et s’est arrêtée à 45,780; mais entre 1869 et 1872 Paris a traversé une période d’angoisses et de misères qui a élevé la mortalité à des chiffres extraordinairement douloureux. Il est bon de les étudier avec quelque détail ; on se convaincra ainsi que la guerre dépasse le but qu’on lui assigne ordinairement, car non-seulement elle tue, mais elle fait mourir et empêche de vivre. Sur les listes mortuaires, qui s’allongent de plus en plus, il est facile de voir les progrès homicides que fait l’influence de la faim, du froid, des tourmens de toute sorte dont la population est harcelée. La vie se retire peu à peu de la cité dolente; on peut en conclure qu’un investissement prolongé, suivi d’une insurrection sans merci, équivaut à l’un de ces grands fléaux morbides que le moyen âge appelait invariablement une peste et que nous nommons une épidémie. Notre obituaire de 1870-1871 est plus chargé que ceux qui nous ont été légués par les choléras de 1832 et de 1849. La guerre proprement dite, le combat, n’y a qu’une part relativement très faible; ce qui tue mieux et plus sûrement que la balle et le boulet, c’est la fièvre, le typhus, l’anémie[1]. Un recensement général de la population de Paris fut ordonné dès les premiers jours du siège; il y avait un intérêt majeur à savoir avec exactitude à quel nombre d’individus devaient suffire les ressources alimentaires qu’on s’était hâté d’accumuler; en connaissant le chiffre réel des assiégés, en calculant le rationnement du pain, on pouvait déterminer à un jour près la date à laquelle la famine ouvrirait nos portes et subirait la paix. On évaluait à 75,000 environ la quantité de gens qui avaient quitté Paris soit pour fuir le danger, soit pour aller le chercher ailleurs,

  1. Ce fait a été prouvé d’une façon irréfutable par M. le docteur Chenu dans son Rapport au conseil de santé des armées sur les résultats du service médico-chirurgical aux ambulances de Crimée et aux hôpitaux militaires français en Turquie. Pendant la durée de la campagne, l’armée française a fourni 7,272,201 journées d’hôpital, dont 1,934,313 pour blessures, et 5,337,888 pour maladies.