Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le registre des mariages de Saint-Jean-en-Grève, pour l’année 1603, on lit : Hic desunt multa matrimonia, — ici ont été omis beaucoup de mariages. On voit par ces exemples, qu’il serait facile de multiplier à l’infini, que des actes d’état civil tenus de cette sorte ne sont que des curiosités historiques où l’on peut parfois découvrir quelques renseignemens précieux, mais qu’ils n’offrent aucune sécurité, et qu’ils ne devaient être que d’un secours douteux pour les familles.

La royauté intervint, et à propos d’une question incidente et toute spéciale imposa aux curés l’obligation de mettre quelque régularité dans certains des actes portés sur les registres curiaux. Ce n’est pas la première fois que, voulant faire disparaître un abus très circonscrit, on a produit un bien général. Lorsqu’un ecclésiastique en possession d’un bénéfice mourait, il y avait un intérêt majeur pour ceux qui ambitionnaient sa succession à cacher sa mort, et, comme on le disait à cette époque, à prendre date à Rome, car le pape jouissait alors d’un droit de prévention qui lui permettait de nommer à un bénéfice vacant lorsque le roi n’y avait pas pourvu. Il y eut des prêtres qui furent embaumés, salés, dissimulés dans des caves par la complicité de quelques inférieurs, pendant que le postulant « courait le bénéfice. » C’est pour faire cesser ce scandale, qui portait préjudice aux prérogatives souveraines, que fut rendue en août 1539 la célèbre ordonnance de Villers-Cotterets, qui fut enregistrée le 6 septembre de la même année. On ne peut douter du motif qui la détermine lorsqu’on voit, à l’article 56, qu’elle défend, sous peine de confiscation de corps et de bien, de garder les cadavres des ecclésiastiques[1]. Elle visait d’autres points, elle exige (art. 52) que l’on constate l’heure et le jour de la nativité; elle recommande de faire contre-signer les registres par un notaire, et enfin, très prévoyante et devançant l’avenir, elle veut (art. 54) que les registres soient déposés tous les ans dans les greffes des bailliages et des sénéchaussées. Par les extraits d’actes postérieurs à l’ordonnance que nous avons citée, on peut voir que le clergé ne fit pas grand cas des prescriptions royales[2].

Ce ne fut point une petite affaire d’amener les ecclésiastiques à donner aux registres curiaux une tenue à peu près régulière; par paresse, par insouciance, par ignorance des suites qu’un acte in-

  1. Voyez, pour les origines de l’état civil, Berriat-Saint-Prix, Recherches sur la législation et la tenue des actes de l’état civil; Mémoires des antiquaires de France, 1832, t. IX; — Notice historique sur les anciens registres de l’état civil à Paris A. Taillandier, 1847; — Recherches sur les actes de l’état civil au quatorzième et quinzième siècle, par Harold de Fontenay, bibliothèque de l’École des chartes, 1869.
  2. Antérieurement à l’ordonnance de Villers-Cotterets, certains évêques avaient compris l’importance des registres curiaux. J’en trouve la preuve dans les archives du département de l’Yonne; en 1491, le curé de Videlis (Sens) est condamné à payer une amende de 10 sols pour n’avoir pas tenu registre des mariages faits dans sa paroisse.