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désert à dos de chameaux. Le consulat-général de France servait d’entrepôt à toutes les antiquités trouvées à Saqqarah, et de là elles étaient dirigées sur Marseille à destination du Louvre. Toutefois, comme il fallait mettre beaucoup de personnes dans la confidence, le mystère fut bientôt découvert, et l’on renouvela la défense expresse aux fellahs de se rendre aux chantiers du Sérapéum. Alors M. Mariette imagina de détruire en une nuit son petit pavillon, unique refuge qu’il eût contre le soleil ; il priva ainsi les officiers de l’abri dont ils ne purent se passer aussi facilement que cet homme du nord. Cela fait, il demanda poliment des ouvriers au moudyr, non pour fouiller le sol, mais pour rebâtir la maison qui abritait les surveillans. C’est sur ces entrefaites qu’il reçut les 30,000 francs votés par la France; à partir de ce moment, tout devint plus simple. Les agens de tous degrés qui l’entouraient commencèrent à s’intéresser aux fouilles et cessèrent de susciter des entraves; leur surveillance mollit, car l’archéologue français avait, comme le Plutus des Grecs, la main toujours ouverte, et, comme l’Harpocrate égyptien, la bouche toujours fermée. Aussi lui envoya-t-on vingt ouvriers pour réédifier son pavillon. Ils y travaillèrent lentement le jour, et, bien payés, ils s’employèrent activement la nuit au déblaiement du Sérapéum, si bien que les fouilles, en dépit de toutes les interdictions, ne furent jamais interrompues. Les officiers consentirent, malgré le Koran, à boire des vins de France et à fermer les yeux. On gagna ainsi le 1er novembre. Il y avait un an que M. Mariette était au désert.

Dans la nuit du 8 au 9 novembre 1851 eut lieu le dégagement complet de la rampe qui descendait de l’extrémité du dromos au souterrain funèbre d’Apis. Les nuits furent bien employées et les travaux poussés avec une activité extraordinaire ; on parvint au bas de la rampe. Le chambranle de la porte était couvert des inscriptions cursives gravées en copte ou en grec par les pèlerins; les pierres qui le composaient sont au Louvre sous l’escalier Henri IV. Enfin, pendant la nuit du 12 au 13, on enleva les dernières couffes de sable, et l’on se trouva dans une grande galerie couverte à espace libre. M. Mariette voulut y pénétrer, mais sa lampe s’éteignit, il fallut attendre que l’air respirable s’y fût introduit; il y entra enfin... Il était dans la tombe d’Apis! Le soleil allait se lever, et l’on pouvait entendre d’un instant à l’autre les pas des chevaux qui amenaient chaque matin les surveillans. Il eut toutefois le temps de prendre possession de son nouveau domaine; il put se promener une heure entière jusqu’au fond de ces vastes souterrains, creusés dans le roc, et passer en revue toutes les chambres où étaient déposés les sarcophages gigantesques des Apis. Il vit ces murs tapissés de stèles, ces milliers de textes, ces images divines, un trésor de