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incomparable drogman au service des Pharaons, mais c’est un drogman et rien de plus.

M. de Rougé est incontestablement, avec M. Mariette, le vrai successeur de Champollion. L’un et l’autre ont leur domaine distinct et leur mérite différent. M. de Rougé, dont la science déplore la perte récente, n’était pas un savant dans le sens de M. Birch ou de M. Lepsius; il ne possédait pas les connaissances variées et étendues que l’on ne peut contester aux deux égyptologues de Londres et de Berlin ; mais son esprit juste et pénétrant acquit bientôt, par la discipline à laquelle il le soumit, une grande rigueur méthodique sans rien perdre en profondeur. Ne se sentant pas préparé pour aborder le champ des études philologiques et historiques comparées, il n’en dirigea que plus sûrement tous ses efforts vers un but unique, l’égyptologie. Il voulait y être initié, il y fut maître. Ses travaux publiés, — ils ne le sont pas tous, — et son enseignement du Collège de France ont donné les plus remarquables modèles que nous ayons d’interprétation analytique et raisonnée, et l’on peut dire que chacun de ses mémoires, chacune de ses leçons, marquent un progrès dans la formation méthodique de la grammaire, dans l’œuvre du déchiffrement, et souvent dans celle de la restitution chronologique des dynasties. M. de Rougé voyait dans la religion des anciens Égyptiens un monothéisme tel que Jamblique l’avait expliqué; le panthéon égyptien n’était pour lui qu’une expression symbolique et matérielle. Sous ces figures multiples du culte et de la liturgie, il reconnaissait et cherchait à dégager l’idée philosophique et la croyance raisonnée au Dieu « se perpétuant et s’ engendrant lui-même, » au Dieu un dans son essence, bien que la religion dont il est le fondement semble revêtir dans ses manifestations variées toutes les apparences du polythéisme. Quoique, dans ses dernières leçons, il ait entrevu la notion plus vraie du panthéisme, c’est en somme à la conclusion de Jamblique qu’ont abouti et que se sont arrêtées ses recherches touchant ce grand problème; or c’est précisément pour la connaissance nette et précise du dogme, clé de voûte de tout le système, que les derniers travaux de M. Mariette constituent un pas de géant.

En 1850, époque où commence sa première mission, on ne possédait, comme instrument et comme matériaux de travail, que les monumens et les textes réunis alors dans les musées de Paris, de Londres, de Berlin, de Leyde, de Turin, sans parler des collections secondaires de Vienne et de Rome. Il faut ajouter à ce fonds les copies, plus ou moins exactes, que l’on trouve dans l’ancien ouvrage de la commission d’Egypte, dans les Monumenti de Rosellini, dans le Denkmaeler de M. Lepsius, enfin dans les recueils isolés ou dans les publications individuelles qui sont antérieures à