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norer ces grands souvenirs ; aussi lui tient-on compte en Europe de ses efforts persévérans pour encourager les hommes voués au culte du passé et à la recherche des civilisations disparues. Rien n’égale les puissans moyens d’exploration qu’il a mis sous la main de notre compatriote. Nous avons vu 2,000 fellahs travailler tantôt à Tanis et dans la nécropole de Memphis, tantôt à Thèbes, à Abydos et à Edfou. La science était créée par Champollion, mais les textes nous manquaient. M. Mariette nous les a donnés; il a fait revivre tout un monde disparu, il a retrouvé, classé, et il publie aujourd’hui les élémens enfouis et épars de cette immense bibliothèque de pierre où sont consignés les conquêtes, les croyances, les institutions, la littérature et les arts de ce « peuple constant, » de cette civilisation unique qui, pendant quatre mille ans, s’est développée et a prospéré dans la longue et fertile vallée du Nil. On ne dira jamais assez ce que M. Mariette lui-même, ce que l’Europe savante, doivent à la munificence du vice-roi ; mais, dans cette vaste carrière ouverte également à tous les peuples civilisés, la France a le devoir de se montrer plus reconnaissante envers Ismaïl-Pacha qu’aucun autre pays de l’Europe. N’oublions pas que, parmi les sciences historiques, il n’en est pas dont les conquêtes appartiennent, autant que l’égyptologie, à notre patrimoine national. C’est un Français, Champollion, qui l’a créée de toutes pièces; ce sont des Français, Letronne et Biot, qui en ont étendu le domaine par l’enquête féconde ouverte sur les âges ptolémaïques et sur les systèmes astronomiques des peuples du Nil. Ne sont-ce pas des Français, et M. Chabas, dont l’esprit est si net, le savoir si sûr, et M. de Rougé, qui fut deux fois maître, par ses leçons et par ses écrits? Il est Français aussi, par l’adoption du moins, ce jeune Maspéro, qui s’est fait seul et que nous avons vu, il y a quelques années à peine, s’exerçant à l’École normale, et comme pour se reposer de ses études classiques, à expliquer les textes les plus difficiles de la chrestomathie égyptienne. La France revendique enfin avec orgueil l’homme dont nous allons raconter les travaux.

Pour apprécier les travaux de M. Mariette, il faut savoir où en étaient nos connaissances quand a commencé sa carrière; il nous paraît utile de raconter ensuite sa vie si laborieuse, de suivre pas à pas ses traces au Sérapéum d’abord, puis dans ses principaux chantiers, car l’histoire de ces fouilles, c’est l’histoire de la science elle-même, ou tout au moins des informations sur lesquelles elle repose; il est nécessaire enfin de montrer les résultats qu’il en a tirés pour le grand travail de synthèse qui se poursuit depuis la mort de Champollion. Marquant ainsi le départ et l’arrivée, nous saurons exactement ce qui appartient en propre à M. Mariette et dans quelle proportion, grâce à lui, le champ de l’histoire se trouve accru et enrichi.

La science de l’égyptologie a une date précise : on peut dire