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blés de l’Allemagne contre l’annexion de son pays. Assurément l’Allemagne, après ses victoires, avait le droit de demander le prix de ses succès, de réclamer des garanties, mais elle pouvait aussi, par une modération prévoyante, en renonçant à toute conquête, en laissant intact le territoire français, elle pouvait désarmer son ennemi vaincu, réconcilier les deux nations et devenir la grande pacificatrice de l’Europe ; elle aurait gagné aussitôt un ascendant moral plus irrésistible que tout son prestige guerrier. Elle a préféré les avantages de la force et de la conquête, il en est résulté fatalement cette situation à laquelle on essaie de remédier par toutes ces visites impériales laborieusement négociées, et que le représentant de l’Alsace, M. Teutsch, n’est pas seul à décrire dans son langage ému, que M. le comte de Moltke lui-même, par une coïncidence assez étrange, constatait récemment dans un discours sur la nouvelle loi militaire de l’Allemagne.

On a ici le double témoignage du vaincu et du vainqueur sur quelques-unes des conséquences des derniers événemens, sur la situation respective de l’Allemagne et de la France, sur l’état de l’Europe tel qu’il est resté et tel qu’il reste encore aujourd’hui. Rien n’est plus sérieux, plus instructif et même plus éloquent que ce discours du chef de l’état-major prussien, qui a parlé, non-seulement en homme de guerre, mais en politique clairvoyant, habile, se sentant assez fort pour ne rien déguiser, et un peu froidement hautain jusque dans l’équité et la modération à l’égard de ses adversaires. Il y a deux parties dans le discours de M. de Moltke, L’une est consacrée tout entière à démontrer la nécessité d’armemens considérables, proportionnés à la grandeur nouvelle de l’Allemagne, et cette nécessité résulte, cela va sans dire, des armemens de tout le monde en Europe, particulièrement de la France. M. de Moltke, il faut l’avouer, n’entre pas à la légère dans ces discussions ; il est muni des données les plus positives sur nos forces, des chiffres les plus précis, qu’il connaît aussi bien et peut-être mieux que la plupart de nos hommes publics. Il s’exagère un peu, nous le craignons, les progrès de notre reconstitution militaire. La bonne opinion qu’il a de nos forces doit être un stimulant pour M. le ministre de la guerre et pour la commission parlementaire depuis si longtemps chargée de la réorganisation de l’armée ; elle est peut-être pour le moment plus flatteuse que complètement justifiée. Nous n’avançons pas aussi vite qu’il le faudrait. Les réformes les plus nécessaires ont de la peine à vaincre l’esprit de routine. On y arrivera, nous n’en doutons pas : on ne peut faire moins sous un chef de gouvernement qui est maréchal de France et avec le concours d’un patriotisme que le chef d’état-major prussien voit justement dans tous les partis français.

On y arrivera parce qu’il le faut, parce que c’est la condition d’une renaissance nationale qui doit tout dominer. La France a besoin d’une