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peu et nous restons des spectateurs ; il n’y a guère à sortir de ce rôle. L’influence extérieure et diplomatique que la France peut prétendre exercer, elle la retrouvera un jour ou l’autre ; elle la retrouvera bien moins en déployant une impatience chagrine qu’en se dévouant à l’œuvre de sa reconstitution intérieure, en faisant sentir le prix de son alliance et en se pénétrant surtout de cette idée qu’il y a des affaires plus importantes que l’élection d’Avignon, le déplacement d’un maire, l’impôt sur les chapeaux, imaginé par M. de Lorgeril, ou la prochaine manifestation de Chislehurst.

Le rôle diplomatique de la France pour le moment, c’est de suivre sans s’émouvoir ce qui se passe en dehors d’elle, d’écouter ce qui se dit, de rester attentive au mouvement des choses européennes et de faire son profit de tout, du voyage de l’empereur François-Joseph d’Autriche à Saint-Pétersbourg, du discours prononcé par M. le comte de Moltke dans le parlement de Berlin, des querelles que se fait M. de Bismarck, du changement de ministère qui vient d’avoir lieu en Angleterre. Que sortira-t-il en définitive de la situation si nouvelle et si imprévue dont la dernière guerre a été le point de départ ? Comment se refera un équilibre public dans ce violent et brusque déplacement de toutes les alliances, de tous les intérêts ? Quelles combinaisons inattendues se dégageront de ce malaise, de cette laborieuse confusion où s’agitent et se cherchent en quelque sorte toutes les politiques ? C’est là précisément le problème auquel la France ne peut certainement rester étrangère, dont elle est la première à se ressentir, et qui après tout pèse sur tout le monde, sur les neutres, sur les indifférens, sur les victorieux eux-mêmes, comme sur les vaincus d’hier. On cherche à se reconnaître, à se fixer, à reprendre pied sur un terrain si profondément bouleversé. Évidemment, si l’empereur François-Joseph s’est rendu tout récemment à Saint-Pétersbourg, ce n’est pas pour rien, ce n’est point uniquement pour aller déposer une couronne de laurier au tombeau de l’empereur Nicolas, comme s’il voulait faire amende honorable de l’ancienne politique de l’Autriche en Orient. Le voyage d’aujourd’hui est la conséquence de la rencontre des trois empereurs du nord à Berlin l’année dernière, des visites impériales faites à Vienne pendant l’exposition il y a quelques mois. C’est la suite de tout un travail visiblement accompli depuis trois ans pour arriver à renouer des liens à demi rompus, d’anciennes habitudes d’intimité, pour reconstituer une sorte de concert européen dans le désarroi universel des relations.

Eh bien ! soit, l’empereur d’Autriche est allé en visite à Saint-Pétersbourg. Il s’est trouvé qu’à ce moment la Russie sortait à peine des fêtes données à l’occasion du mariage d’un fils de la reine Victoria, du duc d’Édimbourg, frère de la princesse royale de Prusse, avec une fille du tsar, et l’empereur Alexandre II, associant ses alliés dans une même