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Jacques Roux, s’exprimait de la sorte : « Cet homme s’est présenté le lendemain aux cordeliers. Il a fait arrêter que cette adresse serait représentée à la convention, bien plus, qu’elle serait répétée à l’évêché, autre lieu célèbre par les grands principes qui y furent toujours professés et soutenus... » C’est de là que M. Victor Hugo a fait sortir le mystérieux Cimourdain et le mystérieux évêché. Quant à l’inspiration de ce symbole, il ne l’a trouvée qu’en lui-même. Nous avons ici le secret de ses rêves. Prendre dans la révolution une telle place qu’il n’y ait rien au-dessus, dominer les plus violens, dépasser les plus exigeans, obliger Robespierre à la déférence et Marat à la soumission, être puissant et caché, auguste et inconnu, avoir en un mot l’autorité du mystère, voilà l’idéal qu’il a tracé dans cet étrange épisode. Ferait-on une conjecture bien téméraire, si l’on soupçonnait que cet idéal contient précisément quelque chose de ses ambitions personnelles? Nous espérons, dans l’intérêt de la France avant tout, et dans l’intérêt même de M. Victor Hugo, que les événemens n’offriront jamais des tentations de ce genre à l’imagination du poète; elle y succomberait trop misérablement.

Il est vrai que ces aspirations à une puissance révolutionnaire supérieure et suprême sont complétées dans le roman de Quatre-vingt-lreize par une idée d’un autre ordre. Cimourdain représente la justice inflexible; Gauvain, son élève, représente l’humanité. Cette peinture de l’humanité de Gauvain est, à vrai dire, le récit tout entier. L’occasion du drame, nous l’avons indiqué plus haut, est fournie par le marquis de Lantenac, le vieux chef vendéen, haute et sombre figure où éclatent en traits atroces la fierté, la dureté, l’inflexibilité, un fanatisme politique aussi froid que le marbre et aussi tranchant que l’acier. Le jour où un sentiment humain triomphe de cet homme de fer, Gauvain prend la résolution de le sauver, sachant bien qu’il ne peut le sauver sans se perdre. Lantenac l’inflexible est allé au-devant de la mort pour arracher trois petits enfans aux flammes qui dévorent la tour ; Gauvain le révolutionnaire va au-devant de la guillotine pour favoriser l’évasion du chef royaliste. Il a hésité, on le pense bien, et cette hésitation fait la valeur de son acte; il n’y a pas là de coup de tête, d’héroïsme subit et irréfléchi. C’est un sacrifice mûrement délibéré. Ne croyez pas, quand il hésite, que ce soit l’idée de la mort qui l’arrête; il ne songe guère à cette guillotine dressée au pied de la tour où a été pris le chef vendéen, il songe à son devoir et aux conséquences de ce qu’il va faire. Où est son devoir? Est-ce le devoir envers la révolution ou le devoir envers l’humanité? On se rappelle, dans les Misérables, l’émouvant chapitre intitulé une Tempête sous un crâne. M. Victor Hugo s’est fait ici un emprunt à lui-même, ou plutôt, pre-