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tantôt jeté au hasard, tantôt distribué symétriquement, avec parallèles et antithèses : « la Gironde, légion de penseurs ; la montagne, groupe d’athlètes... Sillery, le boiteux de la droite, comme Couthon était le cul-de-jatte de la gauche. » Quelquefois les signalemens rapides sont compliqués d’anecdotes singulières : « Lause-Duperret, qui, traité de scélérat par un journaliste, l’invita à dîner... » Quelquefois il se borne à marquer la profession ; on croirait lire une page détachée d’un registre de l’état civil, si le dernier mot de la page ne visait à l’effet : « Topsent, marin; Goupilleau, avocat; Laurent Lecointre, marchand; Duhem, médecin; Sergent, statuaire; David, peintre; Joseph-Égalité, prince. » Cette étude de la convention, architecture et nomenclature, ne contient pas moins de soixante pages. Avouez qu’il y a plus de profit à lire les récits de M. Mignet, de M. Thiers, de M. de Barante, ou les séances de la terrible assemblée dans le Moniteur universel. Soixante pages qui ne disent rien! pour l’histoire, c’est vraiment trop peu; pour le roman, c’est beaucoup trop.

Nous avons déjà lu près de deux volumes sur trois, et c’est à peine si nous avons une idée générale du sujet. Enfin le récit commence, le drame se noue, tâchons de savoir ce que le poète a voulu. Deux idées principales, assez neuves l’une et l’autre, forment la substance de l’œuvre; la première est une idée politique et sociale, la seconde une idée d’humanité. La première idée ou plutôt la première prétention de M. Victor Hugo est de faire apparaître derrière les révolutionnaires les plus exaltés, derrière les montagnards, derrière les jacobins, un parti supérieur à tous les autres par une foi plus profonde à la révolution, parti mystérieux, insaisissable, que nul ne voit et qui mène tout. Il l’appelle le parti du club de l’évêché. La commune terrifiait la convention; l’évêché, selon M. Victor Hugo, terrifiait la commune. M. Victor Hugo a trouvé le germe de cette invention dans un fait assez obscur de l’histoire révolutionnaire; il y eut en effet, du mois de mai au mois de septembre 1793, une réunion d’hommes qui prétendaient surveiller les jacobins, la commune, la convention, et qui se nommaient eux-mêmes les enragés. Leur chef, Jacques Roux, est devenu le Cimourdain de M. Victor Hugo; seulement M. Hugo s’éloigne tout à fait de l’histoire quand il montre Robespierre et Marat lui-même éprouvant une sorte de crainte à la vue de Cimourdain, « ce puissant homme obscur, » et lui parlant avec une sorte de soumission respectueuse. Lorsque Jacques Roux vint à la barre de la convention, le 25 juin 1793, soutenir une pétition impérieuse qui réclamait des lois de spoliation et de pillage, Robespierre lui répondit en termes véhémens. Trois jours après, au club des jacobins, Robespierre, flétrissant la pétition de