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nerres, la conscience du lecteur répond : Querelle de scélérats! D’où vient donc que la scène, qui à ce point de vue ne nous déplaît pas, laisse pourtant une impression d’ennui? d’où vient que le doigt impatient se hâte de faire sauter les feuillets? C’est que tout cela ne rime à rien, comme on dit vulgairement, c’est que le remplissage, éclatant de vigueur ou chargé de concetti, n’en est pas moins du remplissage.

Et le tableau de la convention, que fournira-t-il à M. Victor Hugo? Des images apocalyptiques et une liste interminable de noms, le délire de l’enthousiasme et l’exactitude du procès-verbal. C’est ce que nous remarquions tout à l’heure dans l’épisode du canon décroché ainsi que dans le discours du paysan vendéen. La convention est une cime, l’une des deux cimes les plus hautes qui aient apparu à l’horizon des hommes. L’humanité chrétienne réclamerait en vain pour le Thabor; il y a longtemps que M. Victor Hugo ne tient plus compte de ces réclamations-là. « Il y a l’Himalaya et il y a la convention. » Voilà pourquoi la convention a d’abord été si mal jugée; on ne peut embrasser l’Himalaya qu’à distance. Il faut la voir de loin et de haut ; elle est faite pour être contemplée par des aigles et ce sont des myopes qui l’ont toisée. M. Victor Hugo, qui se range naturellement parmi les aigles, a pourtant toisé aussi la convention, non pas en myope, mais en architecte qui aime à voir les choses de près, à se rendre compte des archivoltes et des architraves. Il nous donnera par exemple, avec une admiration discrète, ce renseignement précieux : « la salle de la convention pouvait contenir deux mille personnes, et, les jours d’insurrection, trois mille. » Que de choses dans ce simple mot! c’est toute une philosophie de l’histoire. Les jours d’insurrection, — on dit cela tout uniment, tout bonnement, comme on dirait les jours de séance solennelle, les jours d’inauguration ou de clôture. C’est une cérémonie prévue, régulière, conforme à la tradition et au programme. Après l’étude approfondie de l’architecture de la salle, après l’examen détaillé des tribunes, des escaliers, des couloirs, des vomitoires, l’auteur procède au dénombrement des députés. Quelle réunion! « Rien de plus difforme, dit-il, et de plus sublime. Un tas de héros, un troupeau de lâches; des fauves sur une montagne, des reptiles dans un marais. Là fourmillaient, se coudoyaient, se provoquaient, se menaçaient, luttaient et vivaient tous ces combattans, qui sont aujourd’hui des fantômes. » Président de cette assemblée de fantômes, le poète les évoque l’un après l’autre. On dirait un appel nominal. Seulement c’est la même bouche qui fait la demande et la réponse. Au lieu du mot « présent, » chaque nom prononcé amène une désignation, un signalement, un souvenir, un fait terrible ou grotesque, et tout cela