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chaque porte, on disputera sa vie à l’arme blanche. Ce n’est plus qu’une question de jour et d’heure; Lantenac est perdu. Il échapperait cependant après une résistance héroïque, si un grand devoir d’humanité ne l’empêchait de mettre à profit les circonstances qui assurent son salut. Pour épargner une horrible mort à trois pauvres petits enfans gardés comme otages par sa troupe, il revient sur ses pas et se livre à la guillotine. La hideuse machine avait été plantée la veille au pied de la tour, en prévision de la défaite inévitable du marquis. Touché de ce sacrifice, qui transfigure à ce moment suprême le vieux chef royaliste, jusque-là inflexible comme sa foi, Gauvain le révolutionnaire se sent à son tour transporté au-dessus de lui-même. Il favorise l’évasion de Lantenac et prend sa place dans le cachot. Traduit en conseil de guerre pour cette trahison, il est condamné à mort par son ami Cimourdain. Cimourdain est tout-puissant, un signe de lui peut arrêter le couperet de la guillotine. Stoïquement inflexible, bien qu’il ait la mort dans l’âme, il applique la loi sans hésiter, puis, au moment où la tête du jeune héros républicain tombe sous le tranchant du fer, il se tire un coup de pistolet dans le cœur. Les deux âmes ont pris leur vol ensemble.

Voilà le programme d’où un conteur plus sobre aurait fait sortir un bref et dramatique récit ; M. Victor Hugo y a trouvé la matière de trois volumes. La première et la seconde partie, qui se décomposent en sept livres, partagés eux-mêmes en une trentaine de chapitres, ne renferment que les préliminaires du sujet. La première porte ce titre : En mer; la seconde est intitulée A Paris. Si l’on veut savoir comment une simple nouvelle peut devenir un roman de longue haleine, ou plutôt un récit à prétentions épiques, rien de plus instructif que l’examen de ces deux premières parties. Les descriptions à outrance, les dénombremens sans fin, les leçons et expositions hors de propos, de longs détails d’une science inutile ou suspecte, de longues rédactions d’histoire où la besogne du compilateur est dissimulée sous les coups de griffe du maître-écrivain, tels sont les procédés que l’auteur met en usage. On les avait déjà rencontrés plus ou moins dans les Misérables, dans l’Homme qui rit, dans les Travailleurs de la mer; on les retrouve dans Quatre-vingt-treize, mais on les retrouve bien autrement accusés par la simplicité même du fond. La fable est si peu de chose qu’on a tout loisir d’y compter les surcharges et d’en mesurer l’encadrement.

Voyez par exemple, dès le début, les deux chapitres consacrés à un accident sur un navire de guerre. Un des canons de la batterie s’est détaché en brisant son amarre. Lancée de droite à gauche par