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férences de race ou de religion, les peuples de l’Asie centrale ont sans cesse entre eux des rapports politiques ou commerciaux : les événemens qui surviennent chez l’un ont un contre-coup chez les autres ; les révolutions dont ils sont victimes se répercutent au-delà des frontières, quelque infranchissables que la nature les ait créées. Aussi la zone dont nous nous proposons d’exposer ici l’histoire contemporaine n’est-elle pas simplement un massif de montagnes, ce sont de plus les provinces de l’empire britannique au midi et celles de l’empire russe au nord, ainsi que les diverses nations limitrophes dont la politique journalière tombe plus ou moins sous le contrôle de ces voisins ambitieux. C’est par les bords de la grande péninsule de l’Inde que les Européens ont commencé la conquête de l’Asie, c’est aussi là qu’ils se sont jusqu’à ce jour le plus solidement établis, et que avec de plus grandes ressources ils se trouvent le plus souvent en contact avec les royaumes barbares de l’intérieur ; c’est donc par l’Inde qu’il convient de commencer cette étude. Au-delà des vallées de l’Inde et du Gange, nous trouvons à l’ouest l’Afghanistan et la Boukharie, puis à l’est des montagnes le Turkestan oriental, le Thibet, quelques provinces de la Chine, si éloignées de Pékin qu’elles se détachent presque du Céleste-Empire. Ce programme déjà vaste ne comprend cependant que la moindre partie de l’Asie ; il laisse en dehors l’Asie-Mineure et la Perse, qui vivent en quelque sorte dans la dépendance de l’Europe, la péninsule de l’Indo-Chine, dont l’intérieur est à peine connu, et surtout cette immense nation chinoise, qui est à elle seule presque un monde.

Bien que les contrées de l’Asie centrale fussent demeurées obscures jusqu’en ces derniers temps, à tel point qu’on en ignorait presque l’histoire et la géographie, il serait incorrect de dire que ce sont des découvertes récentes. Peut-être les connaissait-on mieux il y a deux mille ans qu’au commencement du XIXe siècle. La Boukharie n’est autre que la Sogdiane des anciens ; le roi Porus, qu’Alexandre détrôna, régnait dans le Pendjab, au pied de l’Himalaya. Même au moyen âge, des voyageurs européens traversèrent plus d’une fois ces régions. Vers l’an 1250, un moine de Palestine venait, de la part de saint Louis, trouver au fond de la Mongolie le grand-khan des Tatars, et l’incitait à prendre les armes contre les Sarrasins. Un peu plus tard, le Vénitien Marco Polo passait vingt ans de sa vie à la cour d’un petit-fils de Gengis-Khan. Au commencement du XVe siècle, Clavijo, ambassadeur de Henri III de Castille, séjournait plusieurs années à Samarcande auprès de l’empereur Timour, que la légende transforme, peut-être à tort, en un féroce potentat. Il n’est pas douteux que les routes de l’Asie centrale furent autrefois ouvertes au commerce. Quels événemens ont interrompu ces échanges pacifiques entre l’Orient et l’Occident ? Est-ce