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verains barbares, ont parcouru en divers sens la contrée montagneuse qui fut, suivant certains auteurs, le berceau de notre race. Les expéditions militaires s’en sont approchées. On se fait maintenant une idée nette de ce que sont la Boukharie, le Turkestan, le Thibet, jadis dessinés au hasard sur les cartes géographiques. Les orientalistes ont recueilli dans les annales turques, persanes et chinoises tout ce qui se rapporte aux peuples de ces pays. Nous nous proposons de retracer les résultats les plus saillans de ces découvertes modernes, d’exposer les événemens qui ont modifié la situation politique de l’Asie centrale en ces derniers temps, de montrer aussi quel avenir elle offre aux deux nations européennes, la Grande-Bretagne et la Russie, qui la serrent de près, l’une par le midi, l’autre par le nord, — car, soit qu’elles s’entendent ou soit qu’elles se disputent, ces deux grandes puissances exerceront une influence irrésistible sur l’avenir des nombreux royaumes qui subsistent encore au milieu du continent.

Quelques détails topographiques sont indispensables pour bien définir la région dont il va être parlé. Au cœur de l’Asie se dresse le vaste plateau du Thibet, que surmontent trois chaînes de montagnes d’une prodigieuse élévation, le Kouen-Loun, le Karakorum et l’Himalaya. Vers le nord et vers l’ouest, ces montagnes se prolongent sans beaucoup perdre de leur hauteur; elles forment ainsi l’Hindou-Kouch, le Caucase indien des Grecs, dont les ramifications s’étalent à travers l’Afghanistan, — le Boulor-Tagh, que les anciens appelaient l’Imaüs et que les indigènes appellent, dit-on, dans leur langage, le Toit du monde, — puis enfin le Thian-Shan, ou Montagnes-Célestes des Chinois. Tout cet ensemble constitue un massif d’une prodigieuse puissance. L’Himalaya et le Kouen-Loun ont des pics de 8,500 mètres au-dessus du niveau de la mer; ce sont les plus élevés qu’il y ait sur la terre. La surface entière du Thibet, qui est plus étendue que la France, serait, sous notre latitude, couverte de neiges perpétuelles. Lhassa, capitale de cette étrange contrée, dépasse les plus hauts sommets des Pyrénées. Gartok, autre ville importante, où se tient une des principales foires du pays, est presque à l’altitude du Mont-Blanc. Le globe terrestre ne présente nulle part une excroissance comparable à ce massif gigantesque de l’Asie centrale. Les plateaux du Mexique, ceux des Andes sous l’équateur, encore moins ceux de la Suisse, ne lui sont comparables en hauteur ou en étendue.

Bien que salubres, ces régions alpestres ont peu de population. L’homme préfère les plaines alluviales de l’Inde ou de la Chine à ces plateaux d’un climat sévère, où la moisson ne vient pas sans travail. Sur une superficie grande comme l’Europe, on ne trouverait probablement pas 15 millions d’habitans; qu’est-ce en comparaison