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tions raisonnables; il rira quand le groupe socialiste proposera, comme amendement à la loi militaire, la suppression des armées permanentes et leur remplacement par la garde nationale; il aura peut-être le tort de se fâcher en entendant certaines violences, qui seront dites précisément pour le fâcher, puis il votera l’ordre du jour et reprendra ses travaux. Ce qui est grave, c’est que les 10 députés ont derrière eux dans l’empire une armée de près de 400,000 électeurs.

Nous ne reviendrons pas sur l’organisation des forces socialistes en Allemagne[1]. Les deux partis entre lesquels elles se divisent, le parti démocrate-socialiste et la ligue générale des ouvriers allemands, se sont partagé les votes des ouvriers dans toute l’Allemagne, mais chacun d’eux a sa province particulière : la ligue générale a recueilli dans le Slesvig-Holstein 45,000 voix sur 135,000 votans; les démocrates-socialistes ont recueilli dans le royaume de Saxe plus de 92,000 suffrages sur 310,000. Aux dernières élections en Saxe en 1871, ce parti n’y avait eu que 40,000 suffrages. Les moyens d’action de ces révolutionnaires s’accroissent tous les jours; le nombre des abonnés de leurs journaux est en progression constante; les caisses de leurs différentes associations sont bien pourvues, car elles ont suffi aux frais de propagande électorale, qui ont dû être énormes; des candidats socialistes se sont en effet présentés dans un grand nombre de circonscriptions, où ils ont groupé autour d’eux des minorités considérables. Le pire est qu’en lisant leurs journaux et les comptes-rendus de leurs réunions, on voit que, repoussant plus que jamais l’idée d’une simple réforme, les ouvriers sont endurcis dans la révolte. Les socialistes de la chaire, qui faisaient des efforts pour conjurer par des concessions le péril social, se croyaient en voie de succès; les associations fondées par eux enlevaient, disaient-ils, des milliers d’hommes au parti du désordre. Quelle illusion! M. Max Hirsch, président de ces associations, rédacteur en chef de leur journal, a vu les ouvriers enrégimentés par lui voter contre lui, et il a complètement échoué, à la grande joie des vrais socialistes, qui l’appellent ironiquement « notre petit Max! » M. Schulze-Delitzsch a réussi, il est vrai, dans deux collèges; mais quelle humiliation pour lui que d’avoir à Berlin subi un ballottage avec Hasenclever, le président de la ligue générale! La sixième circonscription, où il s’était porté candidat, passait pour lui appartenir : c’est le quartier des ouvriers mécaniciens, qu’on disait intelligens, modérés, incapables de se laisser prendre aux chimères socialistes, et cependant, comme Hasenclever a réuni plus de 5,000 voix au second tour de scrutin, il faut bien croire que les

  1. Voyez, dans la Revue du 15 septembre 1873, les Partis socialistes et l’agitation ouvrière en Allemagne.