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qu’ils craignaient d’être perdus au sein du grand parti national-libéral, organisé depuis longtemps et pourvu de son état-major. Comme César aimait mieux être le premier dans un village que le second à Rome, maint député aime mieux s’asseoir sur un fauteuil de président ou de vice-président dans une réunion de dix personnes que de se contenter d’une des cent chaises qu’il trouverait dans la salle voisine. Négligeons donc ces divisions et ces subdivisions pour conclure que les conservateurs, sauf quelques dissidens, les membres du parti de l’empire et ceux du parti libéral de l’empire, aussi bien que les nationaux-libéraux, se rangeront aux jours de grande bataille autour de M. de Bismarck. On en peut dire autant des progressistes. Dans leurs journaux comme dans leurs professions de foi et leurs réunions électorales, ils ont affirmé leur volonté de soutenir énergiquement l’empire contre ses ennemis. Ils ont été d’ailleurs fort éprouvés dans la bataille : ici les ultramontains, là les socialistes leur ont fait une rude guerre. Nationaux-libéraux et progressistes éprouvent à l’heure qu’il est quelque chose de ce sentient que professent les uns pour les autres des gens qui ont le même jour essuyé le feu du même ennemi. Il n’y a donc point de doute que dans toutes les circonstances graves le gouvernement ne soit assuré de la majorité; mais est-ce qu’on délibérera tous les jours dans le parlement d’Allemagne sur l’existence même de l’empire? Non certes, et la voix qui oserait s’élever pour condamner l’œuvre de 1866 et de 1870 serait vite réduite au silence; mais il est des questions très graves qui sont déjà inscrites à l’ordre du jour, et sur lesquelles pourrait bien se diviser ce qu’on appelle « la majorité nationale. »

Le discours lu par M. de Bismarck à l’ouverture de la session annonce deux projets de loi importans, l’un sur l’armée, l’autre sur la presse. Le premier est déjà connu : l’empereur l’avait fait présenter à la dernière assemblée presqu’à la veille de sa séparation, et il s’était montré blessé qu’on n’eût pas trouvé le temps de le voter; il l’a fait porter au nouveau parlement le lendemain de sa réunion. Le 16 février a eu lieu la première lecture. Les députés d’Alsace-Lorraine venaient de faire leur entrée dans la salle, quand M. de Moltke est monté à la tribune pour démontrer qu’il était de toute nécessité qu’on votât sans changement la loi militaire, si l’on voulait que l’Allemagne pût garder sa conquête malgré la France, qui arme, au besoin malgré l’Europe, « où l’Allemagne a gagné l’estime, mais non la sympathie des peuples. » On a beaucoup applaudi le vieux maréchal; on savait qu’il exprimait, en même temps que sa pensée, celle de l’empereur, dont le souhait ardent est de voir, avant de mourir, couronner l’œuvre formidable de l’organisation militaire allemande; pourtant le projet donne lieu à de vives dis-