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des conspirateurs qui ont juré de renverser le trône sur l’autel, car le catholique en Allemagne a pour le franc-maçon l’horreur que le libéral y professe pour le jésuite, et l’on dirait, à les entendre, que la loge maçonnique et la société de Jésus sont deux puissances occultes et terribles entre lesquelles est tiraillé l’univers. Libéraux de contrebande, poursuit le manifeste, vous n’avez en vérité nul souci du bien du peuple! Le peuple vous demandait du pain, vous lui avez jeté des pierres. Qu’avez-vous fait pour diminuer la charge accablante des impôts? Qu’avez-vous fait des cinq milliards? Non point des œuvres de paix, mais des œuvres de guerre; aussi où trouver en Allemagne le sentiment du repos et de la sécurité? La crainte de complications nouvelles, l’attente de nouveaux combats, tels sont les fruits amers de victoires qui ont coûté tant de larmes... Et l’écrivain termine par une péroraison passionnée qui ressemble à un appel de guerre civile : « Aux urnes! Que le cri de la liberté qui a éclaté un jour dans l’Irlande asservie retentisse dans les cantons d’Allemagne! Que le mugissement de nos torrens, l’écho de nos montagnes et la voix de nos cœurs le portent au loin ! Nous voulons que l’Allemagne soit libre et chrétienne, et, confians en Dieu, nous combattrons comme des frères, épaule contre épaule, pour Dieu et la patrie ! »

On a remarqué la question : « que sont devenus les cinq milliards ? » Tous les opposans n’ont pas manqué de la répéter, et il y est répondu tout au long par une affiche démocratique qui a circulé dans Francfort. L’auteur met en regard d’un côté les versemens faits par la France, capital et intérêts, d’autre part les dépenses militaires votées par le dernier parlement : pensions d’invalides, dotations de généraux, constructions de forteresses et de chemins de fer stratégiques, acquittement des frais de guerre, rétablissement du matériel de guerre, dotation de la marine de guerre, du trésor de guerre, etc. La conclusion est que la somme demeurée disponible est à peu près nulle, et que toutes les espérances fondées sur le trésor des Niebelungen conquis par les modernes chevaliers de Germanie se sont évanouies. L’école attendait sa part de la riche dépouille, elle ne l’a pas eue. L’homme du peuple espérait une diminution de l’impôt, mais les hauts gouvernemens se soucient bien de l’homme du peuple! Ils donnent des millions aux généraux, dont c’est le métier pourtant de faire la guerre, mais ils laissent mourir de faim les landwehriens que la guerre a ruinés ; dans les provinces de l’est, l’huissier chargé de l’exécution judiciaire se fatigue à courir les champs sans suffire à sa besogne. L’officier invalide est richement pensionné, mais le soldat ne peut vivre avec l’aumône qu’on lui donne, et pour la honte éternelle de l’empire allemand on voit mendier des hommes qui ont donné leur sang à la patrie!