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Les journaux officieux se distinguaient par leur ardeur; or ces sortes de feuilles sont nombreuses en Allemagne. Tout récemment, dans la chambre des députés de Prusse, à propos de la discussion sur les fonds secrets, qu’on appelle communément à Berlin le fonds des reptiles, un progressiste, M. Richter, a décrit l’ensemble très complexe des moyens employés par le gouvernement pour corrompre l’esprit public; M. Richter n’évalue pas à moins d’une centaine le nombre des journaux qui s’inspirent aux diverses officines fondées par M. de Bismarck. Cette phalange de mercenaires a vigoureusement donné sur l’ennemi ou plutôt sur les ennemis, car M. de Bismarck en a de plusieurs sortes; les conservateurs, qu’effraie la politique révolutionnaire du chancelier, les progressistes, qui ont gardé la prétention de discuter les lois militaires et de défendre énergiquement contre l’impôt « l’argent du peuple, » sont malmenés par les officieux, mais avec un certain mépris qu’inspire leur petit nombre. Le principal ennemi, c’est le parti catholique; contre lui, toute arme semble bonne, car la lutte contre les ultramontains est décorée du nom de « combat pour la civilisation. » Les catholiques sont des hommes dégénérés, oublieux de la dignité de leur sexe, et qui reçoivent de leurs femmes un bulletin de vote que celles-ci sont allées quérir au confessionnal, comme Adam reçut jadis la pomme des mains d’Eve inspirée par le démon; ce sont des traîtres qui conspirent en faveur de l’ennemi héréditaire. « Vous attendez les Français; vous êtes l’avant-garde française! « leur crie-t-on de toutes parts. Contre eux, on excite à parler les vétérans des dernières guerres, et l’on publie à grand fracas des lettres d’invalides qui font devant le public le compte de leurs blessures pour la plus grande confusion des « ennemis de l’empire. » Ennemis de l’empire! les officieux ont vraiment abusé de cette qualification, sans penser qu’on pouvait les prendre au mot et leur demander, après le dépouillement du scrutin : « Que pensez-vous d’un empire qui, au bout de trois ans d’existence, a déjà tant et tant d’ennemis?»

Les journaux ne suffisant pas à la polémique électorale, maintes circonscriptions ont vu naître des feuilles de circonstance, qui recevaient contre paiement les communications des divers partis. Mayence, où la lutte a été très vive, avait son parloir, où catholiques, démocrates et nationaux-libéraux se sont, plusieurs semaines durant, insultés tout à leur aise. On a fait usage aussi des affiches à la main. La ligue des catholiques allemands, dont le siège est à Mayence, a répandu avec profusion son appel aux électeurs. Elle y énumère les insultes dont le parti catholique a été poursuivi depuis trois ans, elle déplore l’exil des plus nobles d’entre ses membres, sacrifiés à la haine des francs-maçons, qu’elle dénonce comme