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biographie un exemple de la pratique de la confession auquel l’antiquité et la sincérité bizarre du narrateur donnent un intérêt singulier. Ce passage montre que dès lors la confession russe était loin d’être toujours purement cérémonielle[1]. Aujourd’hui encore, dans quelques églises de couvent par exemple, l’œil de l’observateur croit parfois distinguer une confession plus animée et plus intime que d’habitude. La pratique du sacrement de la pénitence n’en semble pas moins être restée plus primitive et plus discrète en Orient qu’en Occident. Elle y est plus flexible, plus élastique, plus capable de se rétrécir ou de s’élargir selon les habitudes ou les besoins des âmes. Dans la confession comme en toute chose, l’église gréco-russe serre le cœur et l’esprit de ses enfans de moins près que l’église romaine. La direction, cette institution catholique si chère au XVIIe siècle, est peu connue de l’Orient. La généralité même des aveux de la confession en diminue l’attrait et la fréquence ; le prêtre a moins de prise sur les âmes, et le sacrement qui lui assure le plus d’empire chez les latins lui donne peu d’influence chez les grecs.


IV.

Il y a dans les usages mêmes de l’église orthodoxe, dans ceux de l’église russe en particulier, plusieurs raisons pour que la confession y soit restée moins exigeante qu’en Occident. L’une est le mariage des prêtres. L’exemple de l’Orient prouve que la confession n’exige pas le célibat du confesseur. Rome même le reconnaît en admettant le mariage du clergé chez les grecs-unis, les arméniens et les maronites. Il n’en est pas moins vrai que l’homme attaché à une femme inspire moins de confiance ou, pour mieux dire, moins d’abandon. Plus exposé à des soupçons d’indiscrétion, le prêtre marié sera lui-même plus discret avec le pénitent. En Russie, la loi punit la violation du secret sacramentel. Si on y entend plus d’histoires de ce genre qu’en Occident, elles y sont cependant fort rares et le plus souvent sujettes à caution. En voici une. Une jeune fille ayant eu un enfant d’un amour secret l’avait étouffé de concert avec son complice. Le carême l’ayant, avec tout le village, amenée devant le pope, elle confesse humblement son crime, et l’absolution la délivre de ses

  1. Le voici dans la traduction de Mérimée, qui a cherché à rendre la naïveté de l’original. « Comme j’étais parmi les popes, vint une fille pour se confesser, chargée de gros péchés, coupable de paillardise et de toute vilenie, s’accusant avec larmes et me contant son fait debout devant l’Évangile. Alors moi, trois fois maudit, moi médecin des âmes, je pris l’infection, et le feu brûlant de paillardise m’entra au cœur. Rude pour moi fut la journée. J’allumai trois cierges que j’attachai à un pupitre, et mis ma main dans la flamme jusqu’à ce que s’éteignît cette ardeur impure. Puis, ayant congédié la fille, je pliai mes habits… » Jitie protopopa Avvakouma, page 12. Journal des Savans, 1867, p. 429.