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montre moins éprise de précision et de définitions exactes que l’église latine, moins disposée à pousser sa doctrine à ses dernières conséquences logiques.

En Russie, près du peuple au moins, c’est par questions que procède d’ordinaire le confesseur. Avec le paysan, le pope en a, dit-on, deux habituelles : « as-tu volé? t’es-tu enivré? » à quoi le mougik répond en s’inclinant : « Je suis pécheur. » Une réponse de cette généralité à une ou deux demandes rapidement posées suffit souvent pour obtenir l’absolution. Quelques personnes prétendent même se blesser de questions trop directes. Un pope ayant demandé à un fonctionnaire s’il s’était laissé corrompre, ou, selon l’expression du narrateur, s’il s’était laissé graisser la patte, le pénitent aurait répondu au confesseur qu’il allait trop loin. Parfois à la suite ou au lieu de ses interrogations habituelles le prêtre se contente de s’enquérir si l’on se sent la conscience chargée, ou si l’on a quelque faute particulière à déclarer. Selon beaucoup de personnes, une confession en bloc, un simple aveu de culpabilité comme la vague formule « je suis pécheur » est une réponse suffisante à tout; il n’est pas besoin d’entrer dans des désignations plus précises. On semble avoir un mode de confession analogue, peut-être même plus simple, dans l’église arménienne, qui pour les rites et les pratiques religieuses est restée très voisine de l’église grecque et plus fidèle encore aux usages primitifs. J’ai rencontré dans la Transcaucasie un évêque arménien, homme instruit et intelligent, qui ne craignait pas d’ériger ce mode sommaire de confession en théorie théologique, « Reconnaître qu’on a péché, disait-il, comprend toutes les fautes. Quand vous avez dit « je suis pécheur, » vous avez tout dit. La confession est le rite extérieur de la pénitence; exiger d’elle des aveux plus précis, c’est la matérialiser au profit du clergé. » Cette doctrine, qui pouvait se ressentir de quelque influence protestante, n’est point celle des théologiens russes. Pour la théorie, on ne trouve sur ce sacrement entre eux et les catholiques qu’une différence notable : c’est à propos de la pénitence qu’impose le confesseur. Selon l’enseignement orthodoxe, ce n’est point une satisfaction pour le péché, une compensation des fautes commises; c’est simplement une correction, un moyen de discipline pour le pécheur, et ce remède ne lui est d’ordinaire prescrit que s’il le réclame. Cette doctrine sur la pénitence se lie à celle sur les bonnes œuvres, et fait rejeter à l’orthodoxie orientale toute l’économie des indulgences latines, tout ce que les Russes appellent ironiquement les comptes en partie double et la banque spirituelle de l’église romaine.

Si l’oreille de l’étranger ne peut juger par elle-même de la confession orthodoxe, ses yeux lui en peuvent apprendre quelque chose.