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moment où le XVIIe siècle allait tomber dans l’éternité, un nouveau chef-d’œuvre, Télémaque, vint s’ajouter à tous ceux qu’il avait vus éclore. Ces deux livres, restés populaires, ont eu tous deux une destinée bien différente. Les contes, écrits pour l’amusement des enfans, ont trouvé un lecteur de plus dans chaque enfant qui sait lire et sont restés les amis du foyer. Télémaque, écrit pour l’enseignement des rois, a été proscrit par ceux-là mêmes qu’il devait éclairer et instruire. Fénelon avait vu tout ce que le faste d’une cour brillante, tout ce que les mensonges de la flatterie cachaient aux yeux du maître de misères et de souffrances; il connaissait les dangers que le despotisme et la corruption traînent à leur suite, et pour les prévenir il fit parler la sagesse par la bouche de Mentor. Voilà ce qui fait la beauté et le succès du Télémaque, bien plus que le charme du style, car ce roman, le dernier venu de son siècle, dépasse tous les autres par sa portée. Ce n’est pas une vaine fiction, c’est un de ces livres précurseurs qui annoncent les révolutions et la chute des trônes, comme les oiseaux de tempête annoncent les ouragans.

On le voit, au-dessous des grands classiques, des vieux illustres, comme les appelle Sainte-Beuve, le XVIIe siècle est riche encore en œuvres de pure imagination, beaucoup plus riche qu’on ne le suppose d’ordinaire. On sait à la cour de Louis XIV des contes qui ne le cèdent en rien à ceux de la reine de Navarre. Le fabliau renaît avec La Fontaine; les joyeusetés du XVIe siècle se continuent par Tabarin, le Courrier facétieux, les agréables Divertissemens français. Verboquet le Généreux; le roman se produit comme le conte et la nouvelle sous les formes les plus diverses, il est tour à tour sentimental, quintessencié, dévot, comique, tragi-comique, héroïque, pastoral, allégorique, satirique, historique, féerique et bourgeois; il côtoie la tragédie et la comédie, et donne l’exacte mesure des variations de l’esprit dans ses manifestations les plus populaires. Il serait sans doute aussi injuste que faux de chercher, dans des livres pour la plupart oubliés, des rivaux à Molière, à Boileau, à La Bruyère; mais on peut dire, sans s’écarter du respect dû à ces grands écrivains, que Charles Sorel, Scarron, Furetière, Préfontaine, Bussy-Rabutin, et d’autres encore que nous avons nommés en passant, sont de leur famille, car ils ont combattu avant eux ou à côté d’eux l’empirisme qui régnait dans les sciences, l’hypocrisie du langage ou de sentiment, les pédans et les cuistres; ils ont comme eux défendu la cause du bon sens, et c’est l’honneur de leur mémoire que leurs noms se présentent d’eux-mêmes à côté des noms qui sont la gloire de notre plus grand siècle littéraire.


CHARLES LOUANDRE.