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qui donnent des avertissemens fort utiles. On sait combien la morale dogmatique est infructueuse; on suit les bonnes maximes avec plus de peine encore qu’on ne les écoute, mais quand nous voyons le vice tourné en ridicule, nous nous en corrigeons, de peur d’être l’objet de la risée publique. » Peut-être Furetière s’abusait-il en attribuant au ridicule une aussi grande puissance de correction, mais du moins il ne se trompait pas en annonçant au public qu’il lui offrait « une potion agréable. » Le Roman bourgeois est en effet une œuvre alerte et discursive, où les Parisiens du XVIIe siècle revivent avec une vérité saisissante : les amours de Javotte, la jolie quêteuse des messes de midi à l’église des carmes de la place Maubert, qui trouvait dans sa bourse autant de cœurs que de pistoles, servent de cadre au récit, mais l’auteur ne s’attache pas longtemps au même sujet. Il quitte Javotte pour Lucrèce la Parisienne, qu’il ne faut pas confondre, dit-il, avec Lucrèce la Romaine, car elles ne se ressemblent guère, et il quitte Lucrèce pour raconter l’Historiette de l’Amour égaré. « S’il y eut jamais, dit-il, un enfant incorrigible, ce fut le petit Cupidon. » Il mettait en rumeur la cour céleste. Diane se plaignait qu’il lui débauchait ses nymphes, Junon qu’il troublait son ménage. Vénus, assourdie par les réclamations des habitans de l’Olympe, le menaça de lui donner le fouet; elle fit tremper des branches de myrte dans du vinaigre pour procéder à la correction, et Cupidon, sachant, comme tous les enfans terribles, que les grand’mères sont indulgentes, prit son arc et ses flèches et se sauva chez Thétis.

A peine arrivé chez la reine de l’humide empire, le fils de Vénus recommence ses espiègleries. Il met en révolution les tritons et les néréides, les huîtres et les cancres. Thétis le gronde et cueille une branche de corail pour le fustiger. Cette fois encore il n’attend pas le châtiment, et, comme ses ailes étaient mouillées, il se sauve à la nage et gagne la terre ferme. Des bergers qui le voient prendre terre lui prodiguent leurs soins et s’empressent de lui donner des habits. Touché de ce bienveillant accueil, il leur enseigne l’art d’aimer et l’art de plaire, et ses élèves profitent si bien de ses leçons que bientôt il n’a plus rien à leur apprendre. Cependant son carquois était encore bien garni, et, pour utiliser ses flèches, il se rendit dans une ville voisine; là il se mit en condition chez une dame nommée Landore, et lui décocha quelques traits en la visant au cœur; par une rare exception, ce cœur était si dur que les traits tombaient émoussés aux pieds de la belle. — Si je reste ici, dit l’Amour, j’aurai bientôt vidé mon carquois pour rien; cherchons ailleurs.

Du service de Landore, Cupidon passe au service de Polymathie,