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MA SŒUR JEANNE

dernière partie.[1]

I.

Le lendemain donc, au lieu de descendre à la ville, je me promenai dans le faubourg, sans perdre de vue notre enclos. Il ne vint personne, et j’entendis presque sans interruption le piano de Jeanne. J’avais oublié cette aventure, que je devais regarder comme insignifiante, lorsque, huit jours plus tard, comme je travaillais dans ma chambre, il me sembla qu’on marchait furtivement dans la maison. Il était près de minuit, et tout le monde se retirait à onze heures. Je craignais que ma mère ne fût malade. Elle était quelquefois prise d’étouffemens nerveux et s’en cachait pour ne pas nous inquiéter. Je voulus la surprendre pour l’empêcher de s’enfermer sans répondre, et je descendis sans bruit à sa chambre. Lorsque je m’arrêtai en route, un bruit de pas légers et de paroles à mi-voix partait du salon. Je m’y rendis sans faire craquer une seule marche de l’escalier. La porte du salon n’était pas fermée, et par la fente qu’elle offrait je vis Jeanne dans les bras d’un homme que je distinguai mal, mais qui, autant que le permettait la lueur d’une bougie placée de côté, me parut être M. Brudnel. Il me répugnait d’espionner ma sœur, je remontai précipitamment à la chambre de ma mère. Il y avait de la lumière chez elle, je frappai, je la trouvai en train de s’habiller.

— Tu sais donc, lui dis-je tout ému, qu’il y a quelqu’un en bas ?

— Oui, quelqu’un que nous n’attendions pas ce soir et qui sans doute a quelque chose de pressé à nous dire.

  1. Voyez la Revue des ler et 15 janvier, des 1er et 15 février.