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pagnement ordinaire du bétail sont elles-mêmes moins sujettes aux intempéries des saisons, parce que le sol y est plus riche et mieux engraissé. Dans un pareil milieu, la classe des cultivateurs a singulièrement grandi et prospéré. Grâce à la fixité de la production, ils ont amassé des capitaux à l’aide desquels ils ont élevé leur système de culture et se sont eux-mêmes élevés : même quand ils n’ont pas encore acquis tout le sol qu’ils cultivent, leur situation de cultivateurs ne laisse pas que d’être enviable sous bien des rapports. Ils sont souvent les égaux de leurs propriétaires, et pour peu qu’aux vertus habituelles du cultivateur, l’activité, l’ordre et la frugalité, ils joignent une certaine étendue d’esprit et de l’habileté en affaires, ils ne tardent pas d’acquérir une influence considérable. Il y a en Angleterre, en Hollande et dans le nord de la France de simples fermiers qui, par l’influence qu’ils exercent et par la considération qui les entoure, sont de véritables personnages.

Rien de pareil ne s’observe dans le midi. Là, c’est exclusivement le propriétaire qui est riche, influent, instruit, habile ; le cultivateur n’est pas encore arrivé à l’indépendance. Le propriétaire dirige habituellement l’exploitation de son domaine, et il est astreint à la résidence ; mais toutes les fois que la culture est dans d’autres mains que la propriété, ce n’est plus le fermage qui s’observe, c’est le colonage partiaire ; au lieu d’un chef d’industrie à la fois instruit et riche, on ne trouve qu’un métayer, que son défaut de fortune et d’instruction relègue à une énorme distance du propriétaire. Au pied des Pyrénées ou sur les bords de la Méditerranée, en Espagne, en Toscane et en Lombardie, c’est là un fait général.

Ce n’est pas à des différences dans la fertilité du sol ou dans la richesse des cultures qu’il faut attribuer une pareille différence de situation. Le sol est parfois d’une fertilité prodigieuse dans le midi, et certaines cultures, telles que la vigne, y sont pour le moins aussi productives que les plus riches cultures dans le nord. On se tromperait encore, comme l’a fait Sismondi, si l’on invoquait la tradition romaine, restée plus vivace dans le midi que dans le nord de la France. Les traditions historiques ne jouent qu’un bien petit rôle dans le développement des sociétés ; les hommes obéissent toujours à la loi de leurs intérêts. C’est le caractère aléatoire de la production agricole dans le midi qui nous donne la véritable explication du fait. La vigne, le mûrier, l’olivier, sont des cultures très riches quand on prend la moyenne des produits annuels ; mais ces moyennes résultent de chiffres extrêmes qui présentent les plus grands écarts. Produits et prix, tout varie dans des proportions énormes. La gelée et la maladie peuvent emporter les plantations, et la production s’arrête alors pendant des années entières. Pendant quinze ans la maladie du ver à soie a presque anéanti le revenu du mûrier. On