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gions voisines mieux pourvues pussent lui venir en aide, les transports étant trop difficiles et trop onéreux par le défaut ou l’insuffisance des voies de communication. Il y avait ainsi d’un point à l’autre de notre territoire des écarts de prix parfois énormes. En 1822, année d’abondance, le prix du blé était, durant les mois de mai et juin, à 9 et 10 francs en Lorraine, à 10 et 11 francs dans le Berry, à 14 francs dans le Nord et à Paris, à 17 francs en Normandie et à 22 francs en Provence.

Il y a une limite à la baisse dans les années d’abondance, car le cultivateur qui ne trouve pas à vendre son blé a la ressource de le garder en magasin jusqu’à la prochaine disette, ou même d’en tirer immédiatement un certain parti en le faisant consommer par son bétail. Au contraire, dans les années de déficit, il n’y a pas de limite à la hausse : la panique s’en mêle aussitôt que le marché se dégarnit, et les prix exécutent des bonds violens qui n’ont aucun rapport régulier avec le manque de subsistances. Le fait est bien connu, et il se produit si généralement sur les marchés à rayon peu étendu qu’il a servi de base à la théorie de Tooke sur les rapports du prix du blé avec les besoins de la consommation. Aussi est-ce dans les années de disette qu’on pouvait observer, en parcourant nos divers marchés, les variations de prix les plus étendues. En juin 1817, l’hectolitre de blé valait 80 francs en Alsace, 75 francs dans les Vosges, 65 francs dans la Lorraine, 50 francs dans la Normandie, 40 francs en Provence, 35 francs dans le Berry, et 30 francs en Bretagne et dans plusieurs autres départemens de l’ouest. Des marchés voisins, comme Metz et Nancy, présentaient même parfois des écarts considérables : pendant qu’à Metz le blé valait 65 francs l’hectolitre, il en valait 72 à Nancy.

Les variations dans le temps n’étaient pas moindres que les variations dans l’espace. L’Alsace, qui avait eu des prix de 80 francs en 1817, n’avait plus que des prix de 12 à 13 francs en 1822. En Lorraine, où l’hectolitre de blé avait monté à 65 francs en juin 1817, le prix était descendu à 20 francs en juin 1818, et moins de quatre ans après, en 1822, nous le trouvons au-dessous de 9 francs. Les soubresauts n’avaient pas souvent une pareille violence, mais ils se produisaient fréquemment : rien n’est plus commun que de voir dans les mercuriales de deux mois consécutifs des écarts de 3 à 4 francs qui seraient inexplicables, si l’on ne connaissait les fluctuations de prix de ces petits marchés.

Il est évident que des calculs de moyennes qui mettent en œuvre des élémens aussi disparates ne peuvent rendre compte exactement ni de l’état de notre marché intérieur à un moment donné, ni de la marche des prix dans le temps et dans l’espace. Les prix moyens mensuels, annuels et décennaux qui résultent du rapprochement de