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traire l’ont aux racines en quantité variable ; seulement l’action de l’insecte se borne le plus souvent au chevelu, sur lequel sa piqûre développe les nodosités caractéristiques sans que les générations nouvelles se portent en masses sur les divisions moyennes ou grosses de la racine, ou même sur la partie enterrée du tronc, comme la chose se passe d’habitude chez la vigne européenne. Est-ce à la vigueur plus grande des vignes américaines résistantes, au plus rapide développement de leur chevelu, qu’est due l’immunité relative de ces cépages ? Seraient-ils moins nutritifs pour l’insecte ? Ces explications restent incertaines, mais les faits eux-mêmes n’en sont pas moins constans, savoir la vigueur des ceps infestés et la moindre multiplication de l’insecte sur un cep donné.

Il est pourtant des cépages qui, s’ils ne meurent pas absolument et rapidement comme la vigne d’Europe, présentent en Amérique des signes non équivoques de dépérissement graduel. On a vu l’isabelle périr en France dans les vignes phylloxérées de M. Laliman : elle décline également en Amérique et commence à se faire rare dans les vignobles où elle était abondante autrefois ; le catawba, ce plant précieux qui a fait la fortune des fabricans de champagne de Cincinnati, décline sensiblement, même dans les lieux où le climat lui est le plus favorable ; enfin le delaware, si justement recherché comme raisin de bouche et pour son vin délicat, est en pleine décadence dans la plupart des vignobles : on l’arrache aux environs de Sandusky et de Cleveland, et la seule vigne qui m’ait offert en Amérique l’aspect désolé des vignes mourantes de notre midi est un carré de delaware de l’île Kelley, placé juste à côté de concords et de clintons luxurians. Cette faiblesse vis-à-vis du phylloxéra est surtout très accusée chez les cépages hybrides dont on pourrait, par une métaphore souvent usinée, dire qu’ils ont du sang du vitis vinifera de la vigne de l’ancien monde. Presque partout j’ai vu ces hybrides donner des signes de souffrance et même de dépérissement, et, si parmi elles le wilder et le goethe ont jusqu’ici tenu bon, c’est peut-être que le temps de leur épreuve n’a pas encore assez duré.

En somme pourtant, les vignes américaines prises en masse luttent contre le phylloxéra, toujours présent autour d’elles ou sur elles, avec un succès qui chez beaucoup aboutit de fait à l’immunité. D’autres faiblissent, succombent même dans un combat inégal : la vigne d’Europe a toujours péri lorsqu’on l’a mise en Amérique aux prises avec cet implacable suceur ; elle périclite en ce moment dans son pays même, et ne peut être sauvée, en attendant mieux, que par le secours des vignes américaines.

Sous quelle forme ce secours nous viendra-t-il ? Sera-ce en