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souvent très délicat, qui rappelle chez les uns le sauterne, chez d’autres les vins de Bourgogne ou les vins du Rhin et de Hongrie. Un reproche plus spécieux, c’est le faible titre alcoolique que donneraient aux États-Unis la plupart des moûts naturels. À cet égard, il serait difficile d’assigner les limites maximum et minimum de valeur saccharine de chaque cépage ; ce titre varie suivant le climat du lieu, suivant la saison et suivant le cépage lui-même. Quand la saison est favorable, le catawba, même dans l’état de New-York, donne jusqu’à 12 degrés d’alcool pur : ce titre s’abaisserait de plusieurs degrés dans les années défavorables, si l’on n’avait soin d’ajouter au moût naturel avant la fermentation une quantité de sucre calculée sur le déficit du sucre normal du raisin. Indiquée en premier lieu par Macquer, puis par Chaptal et par Petiot, développée et perfectionnée en Amérique par le docteur Ludwig Gall, cette opération est acceptée et préconisée par les meilleures autorités œnologiques du pays. Galliser le vin (le traiter par le procédé Gall) est une expression courante parmi les vignerons des États-Unis, et qui signifie ajouter au moût du sucre étranger, soit pour élever le titre alcoolique d’un vin fait en une fois, soit pour faire avec les mêmes raisins deux cuvées successives, la première avec le moût normal séparé du marc, la seconde avec le marc lui-même, auquel on ajoute de l’eau et du sucre. Ainsi traité par exemple, le concord donne un premier vin blanc à saveur peu prononcée, puis un vin rouge inférieur, mais encore assez agréable et susceptible de conservation : ce n’est pas, comme on pourrait le croire, une piquette renforcée, c’est du vin chez lequel une simple addition de sucre a fait utiliser les quantités surabondantes d’acides, de tannin et d’arome contenus dans le pulpe qui adhère aux pellicules. Si cette opération est légitime en elle-même, à la condition de n’être pas dissimulée à l’acheteur, le succès dépend beaucoup de la justesse des proportions du mélange de moût, de sucre et d’eau, et du rapport de ces élémens avec les acides du vin : le glucomètre, l’acidimètre, sont, entre les mains d’opérateurs instruits et habiles, des instrumens indispensables, dont l’usage négligé par les uns, mal compris par d’autres, explique beaucoup d’imperfections des vins livrés au commerce ou consommés par le producteur. La nature du sucre influe beaucoup sur la qualité du vin : si c’est du glucose tiré des pommes de terre, il risque d’introduire dans le vin un goût étranger ; le sucre de canne échappe à ce reproche et n’a contre lui qu’un plus haut prix.

Est-ce à dire que la production du vin en Amérique soit fatalement condamnée à ces procédés artificiels et coûteux ? Évidemment non. Pour les vins fins, on s’en tient autant qu’on peut au moût naturel ; pour les vins ordinaires, on ne craint pas d’augmenter la