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deux étages de vastes celliers voûtés, enfermant assez de foudres ou de bouteilles pour loger au besoin 350 000 gallons de vin. Le champagne mousseux, sparkling catawba, n’y compte que pour une part encore assez faible, une large proportion des catawba étant réservée pour ce qu’on nomme still catawba, lequel peut être sec ou sucré, suivant le mode de fermentation adopté. D’autres vins portent le nom des cépages qui en constituent la base, tels sont le concord, l’ives seedling, le delaware, l’isabella, l’iova, etc.

Sur l’île Kelley seulement, il existe au moins dix chais importans pouvant contenir les plus grands 350 000, les plus petits 50 000 gallons de vin. Celui de M. Rush renferme trois rangées de foudres, au nombre de 72, dont la capacité varie de 700 à 2 200 gallons. Tous ces vaisseaux sont bien construits, soigneusement tenus : on y reconnaît l’œuvre de la race des puissans buveurs qui symbolisèrent jadis, dans le célèbre tonneau de Heidelberg, le culte du Bacchus des bords du Rhin. Les autres petites îles du lac Érié, Middle Bass surtout, renferment également de vastes chais. Cincinnati, Saint-Louis, Hermann, n’en restent pas moins les grands centres de fabrication des vins variés, rouges ou blancs, qui sous des noms divers commencent à se répandre dans la consommation du pays.

Juger en détail ces vins d’Amérique serait une tâche au-dessus de ma compétence ; je me bornerai à quelques remarques générales. Ce qui est certain, c’est que ces vins des États-Unis ont conquis leurs titres à l’estime non pas seulement auprès des Américains, juges un peu prévenus dans leur propre cause, mais en Europe auprès des jurys des expositions de Paris et de Vienne, auprès de producteurs et négocians de Montpellier et de Cette. Les rares échantillons que j’ai pu en soumettre à ces derniers ont eu assez de succès pour engager les chambres de commerce de ces deux villes à préparer, de concert avec la Société d’agriculture de l’Hérault, une exposition spéciale de ces vins, mesure d’autant plus opportune que l’introduction des cépages d’Amérique va peut-être transformer en quelques années le fond même de nos cultures de vignes, et fournir à la fabrication des vins de France des élémens tout nouveaux.

Le préjugé à vaincre à l’égard des vins d’Amérique était surtout l’idée du goût de cassis, attribué à tous indistinctement. Quelques remarques oubliées de feu Cazalis Allut auraient pu pourtant rectifier cette prévention mal fondée : dès 1835, ce praticien distingué faisait avec l’isabelle, raisin framboisé par excellence, un vin agréablement parfumé lorsqu’il l’avait laissé cuver sur marc, un autre sans goût spécial lorsqu’il l’avait séparé des grappes. D’ailleurs l’introduction du delaware, du norton’s Virginia, des cépages dérivés de la vigne d’été, supprimait d’un seul coup le goût de cassis de toute une catégorie de vins, laissant à chacun un bouquet propre,