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du Nord située à l’est des Monts-Rocheux[1]. Cet échec dans la culture des cépages du vieux monde n’était en effet que le prélude de nombreux insuccès du même genre.

En 1633, William Penn essaya vainement de cultiver la vigne d’Europe en Pensylvanie. En 1690, une colonie de Suisses, fidèle au culte des vins généreux du Léman, tenta de les produire dans le comté de Jessamine (Kentucky). Un premier fonds de 10 000 dollars fut inutilement dépensé dans cette entreprise ; ils avaient malheureusement voulu cultiver les vignes de leur patrie. Transportant en 1801 leurs pénates à Vevay, dans l’Indiana, par le 39e degré de latitude, ils y cultivèrent avec un meilleur succès un cépage réputé indigène, le cape ou schuylkill muscadell ; mais cette variété, aujourd’hui presque abandonnée, dut se montrer à la fin peu productive, car les vignobles de la colonie déclinèrent peu à peu, et dès 1819 le botaniste Nuttall les voyait céder la place à des champs de blé. Aujourd’hui Vevay, chef-lieu du comté de Switzerland, n’a plus de la Suisse que le nom, et de ses vignobles que quelques restes clair-semés. — Le même échec fut réservé aux tentatives obstinées d’un vigneron lorrain, Pierre Legaud, qui vers la fin du dernier siècle, fit des efforts répétés pour cultiver, près de Philadelphie, des cépages de France, d’Espagne et de Portugal. Deux insuccès analogues sont restés célèbres, celui de nos compatriotes du Champ d’Asile et celui de Lakanal. Chassés du Texas, où ils s’étaient d’abord établis, les premiers, vieux soldats de l’empire, fondèrent sur les bords du Tombig Bee River, dans le district de Marengo (Alabama), une petite colonie agricole. Ils eurent le désir très naturel d’y cultiver la vigne d’Europe ; mais tous leurs soins n’aboutirent qu’à des déceptions. Compagnon de leur exil, le célèbre conventionnel dont le nom reste attaché avec honneur à la fondation de l’Institut et du Muséum d’histoire naturelle, Lakanal, fit également de la vigne européenne l’objet d’une sollicitude particulière et digne d’un meilleur succès : le Kentucky, le Tennessee, l’Ohio et l’Alabama furent le théâtre de ces stériles efforts.

Il serait presque fastidieux de multiplier ces exemples. Le nombre en est grand sur tous les points de l’Union, et je pourrais aisément

  1. La seule exception que je connaisse à ce fait semble confirmer la règle générale. Il s’agit d’une vigne d’origine européenne (puisqu’on la dit introduite par les Espagnols) et qui prospérerait au Nouveau-Mexique dans la localité de El Paso, sur le cours du Rio-Grande del Norte, dans le bassin du Pacifique ; mais le procédé de culture auquel ces vignobles sont soumis est des plus curieux : on coupe tous les ans les ceps ras de terre, au printemps les vignobles sont mis sous l’eau et conservés dans cet état jusqu’à ce que le sol soit détrempé. N’est-ce pas le procédé de submersion de M. Faucon appliqué par des gens qui, sans le savoir, tuent probablement le phylloxéra sur leurs vignes ? La mention du fait est empruntée à une relation de voyage de M. Mölhausen.