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déguisés en gendarmes, sur le chef du pouvoir exécutif comparé à un directeur de théâtre, sur la manifestation des ouvriers boulangers ne voulant pas travailler la nuit. Le grand, l’unique souci est la couleur locale : le reste n’est qu’un prétexte. Le sang peut couler, la catastrophe se précipiter, Rome brûler, ces petits Nérons de la démagogie se souviennent qu’ils sont artistes et font des phrases. N’en rions pas, si ridicule que cela puisse être ; c’est le signe d’une espèce particulière de décrépitude. L’art pour l’art tombe en enfance. Quand les paroles les plus simples seraient les seules qui fussent de nature à exprimer l’horreur des choses, un reporter écrit, on serait tenté de dire, chante sur sa lyre d’un ton de prophète : « La mort avec ses noires ailes plane sur Paris ! » Et le voilà consolé !

Ah ! ce qui manque dans tout cela, et chez ces acteurs de toute catégorie qui occupent les tréteaux, c’est le sérieux. Tragiques, ils pourront l’être : il suffit pour cela de quelques kilogrammes de plomb fondu et de pétrole. Pour être sérieux, il faudrait des idées, des études réfléchies, des sentimens qui fussent autre chose qu’une affiche ; c’est ce qui leur manque. D’autres séditions ont laissé en France leurs pamphlets, leurs feuilles volantes, leurs mémoires secrets. On a formé des bibliothèques avec ce que nous en a transmis la fronde. Voulez-vous mesurer la distance, calculer la portée du changement qui s’est opéré dans les esprits et dans les âmes, comparez ; comparez aussi la langue où tout cela se reflète. Combien le mauvais goût de quelques-uns des auteurs des mazarinades semblera pur à côté de celui-là ! Qu’est-ce que certaines prétentions au bel esprit, si on les rapproche de ces dépravations qui ont tout gâté, l’âme, l’imagination, le cœur, l’écrivain par l’homme ?

Vanité meurtrière, moins féroce pourtant que celle des inventeurs ; pour ceux-ci, la beauté des moyens de destruction est tout ce qu’ils considèrent. Le côté esthétique leur dérobe l’atrocité du but. Dans l’idée de faire sauter une partie de Paris, ils n’aperçoivent que le mérite de la démonstration ; aussi quel calme philosophique ! Ne nous y trompons pas, l’orgueil ne les domine pas moins que la science : tout est bon qui peut faire ressortir la puissance de leur génie ! Ils aiment encore à se donner pour des philanthropes : des moyens si redoutables doivent rendre les guerres rares et courtes ; attendons seulement que, par le secours infaillible qu’ils offrent à la commune, le gouvernement de la réaction ait disparu, laissant la place au progrès. Voilà ce que vous faites entendre, honnête signataire, « ancien magistrat démissionnaire, depuis lors adonné aux sciences exactes ; » voilà ce que vous nous dites plus clairement encore dans une lettre qui ressemble à quelque recette anodine, prétendu chimiste, qui êtes au moins le centième inventeur du feu grégeois ! Il s’agit d’une chose simple, commode, portative, telle-