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contre, mais non dans les villes populeuses ou dans les campagnes riches.

Ce n’est pas le bon marché de la vie qui mesure la marche progressive de l’humanité, c’est la puissance du travail servi par les capitaux, fécondé par l’intelligence. Dans un milieu riche où l’outillage de la production est plus complet, où les besoins de la consommation trouvent plus facilement à se satisfaire, le travail de l’homme est mieux rémunéré, parce qu’il est tout à la fois plus actif, plus habile et plus puissant, par conséquent plus fécond. La hausse des salaires et des rémunérations de toute sorte, conséquence inévitable de la richesse et du développement de l’activité qui en est la source, donne au simple travailleur, malgré la cherté de la vie, plus d’avantages que dans les pays arriérés où la vie est à bon compte, parce que le prix du travail y monte plus rapidement que celui des subsistances. Les améliorations dans le régime, dans le vêtement et dans l’habitation, c’est-à-dire le remplacement des grains inférieurs par le blé dans la nourriture, des vêtemens plus commodes, plus sains, plus variés, des habitations plus spacieuses et plus confortables, plus de services de toute nature à échanger contre celui du travail, plus d’air à respirer, plus de facilité à se mouvoir, — voilà le progrès ; mais ce progrès n’est pas incompatible avec la cherté croissante de la vie, car l’un ne va jamais sans l’autre.

En dépit de toutes nos discussions d’école ou de parti, il faut proclamer bien haut que les hommes sont solidaires et que le bien de l’un rejaillit sur tous. L’agriculture ne peut prospérer qu’à la condition d’un nombre croissant de consommateurs qui fassent monter le prix de ses produits ; mais elle ne peut satisfaire aux exigences de la consommation qu’en rémunérant mieux la main-d’œuvre et les capitaux qu’elle emploie. Par les produits qu’elle échange contre ses denrées, elle fait naître partout la fécondité en ouvrant de nouvelles sources de travail, en provoquant l’emploi utile de nouveaux capitaux. Elle achète plus de meubles, d’étoffes, de fer, etc., à l’industrie, parce qu’elle lui vend aussi plus de blé et de viande. Elle demande plus de services au commerce, parce qu’elle en a davantage à lui rendre. Le capital multiplie la puissance du travail et en élève la rémunération ; le travail, à son tour, fécondant le capital, en tire chaque jour un meilleur parti. Ainsi monte peu à peu, par le concours de tous ses membres, l’humanité tout entière. Admirable harmonie que ne sauraient rompre les plaintes de l’ignorance ou les clameurs de la mauvaise foi ! C’est l’humanité qui monte quand toutes les rémunérations s’élèvent, celle du cultivateur aussi bien que celles de l’industriel ou du banquier, quand les hommes les plus dénués trouvent dans l’abondance et la variété des produits, malgré la cherté des subsistances, plus de moyens d’échanger leur