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obtenir d’Ibrahim l’observation de l’armistice provisoire auquel ce pacha avait adhéré, ayant enfin épuisé toutes les voies de conciliation et se trouvant attaqué dans la baie même de Navarin, où les intentions les plus pacifiques l’avaient amené, l’amiral anglais, en acceptant le combat, a exécuté les instructions dont il était muni et servi la cause commune avec un succès qui ne fait pas moins d’honneur à ses talens et à sa bravoure qu’il n’assure d’avantages aux alliés dans leurs négociations avec la Porte. »

Ainsi ce n’était pas le comte Heïden, c’était sir Edward Codrington qui se trouvait avoué, félicité par le cabinet de Saint-Pétersbourg. Heïden n’avait fait que suivre et obéir. Loué par la Russie, encouragé, soutenu par ses deux collègues, Codrington n’en attendait pas moins avec anxiété une réponse au rapport qu’il avait adressé à l’amirauté peu de jours après la bataille de Navarin. « Le vôtre, écrivait-il à l’amiral de Rigny, semble avoir ravi la France. » Un transport d’enthousiasme accueillit en effet dans toute l’étendue du royaume l’annonce de cette victoire remportée pour une cause populaire. Le gouvernement ne marchanda pas aux vainqueurs les récompenses. Tous les grades, toutes les décorations demandées par l’amiral furent accordés. Lui-même fut promu vice-amiral. Le cabinet des Tuileries ne laissait pas cependant de se préoccuper des conséquences d’un acte qui avait de beaucoup dépassé ses prévisions. À Saint-Pétersbourg, on proclamait très haut que la bataille de Navarin venait de placer dans son vrai jour, la politique des trois états. « Espérons, écrivait le comte Nesselrode, qu’à la suite de la journée du 20 octobre les erreurs se dissiperont, que les conseils qui les entretiennent cesseront d’être écoutés, et qu’enfin désabusée la Porte se hâtera d’accepter des conditions de paix qui lui imposent à la vérité quelques sacrifices, mais des sacrifices accompagnés d’abondantes compensations. » L’attitude aux Tuileries était plus réservée, la satisfaction moins complète. Le comte de Chabrol, qui fut pendant près de quatre années ministre de la marine, du 4 août 1824 au 8 mars 1828, me paraît avoir admirablement résumé dans une lettre privée portant la date du 19 novembre 1827 les dispositions du cabinet à la tête duquel figurait encore cet esprit si prudent dont la chute précéda de bien peu celle de la monarchie. « Je ne veux pas, mon cher vice-amiral, écrivait-il au comte de Rigny, laisser partir ma lettre officielle sans y joindre mon compliment particulier sur la grande et noble affaire à laquelle vous venez de prendre part. Vous ne pouviez pas mieux couronner une station de trois années pendant laquelle il n’y a eu que des félicitations à vous adresser sur la sagesse, la fermeté et la dignité de votre conduite. Le roi a vu avec le plus grand plaisir sa marine se relever par un coup d’éclat et obtenir les éloges les plus flatteurs des amiraux étrangers. Il m’a