Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le gouvernement grec fit partir Fabvier pour Ipsara. Le 28 octobre 1827, l’intrépide colonel débarquait sur la plage de Chio avec 1 000 tacticos, 1 500 irréguliers et vingt pièces de canon. Le pacha turc, Yousouf, s’enferma dans la citadelle. Le commodore Hamilton se trouvait en ce moment à Smyrne. « L’opinion de M. Canning, écrivit-il sur-le-champ à l’amiral de Rigny, est tout à fait contraire à une attaque sur Chio. S’il est possible d’obtenir quelque garantie pour la vie des habitans, je serais d’avis de couper court à cette expédition. » Le commodore ne s’en tint pas là. Il chargea le capitaine Hotham du Parthian de déclarer aux chefs grecs qu’il ne considérait pas seulement leur expédition comme compromettante pour les trois puissances, il la jugeait aussi contraire aux intérêts de l’humanité. « Jamais, ajoutait-il, la Grèce ne pourra maintenir une force navale suffisante pour empêcher les Turcs de passer quelque jour de Tchesmé à Chio, et ce jour-là nous aurons à redouter une effroyable catastrophe. Quel motif peut empêcher aujourd’hui la flotte turque réunie à Gallipoli de venir à Tchesmé ? Cette flotte évidemment n’est retenue que par la crainte des escadres combinées, et cependant je ne vois pas que les termes du traité de Londres nous autorisent à nous opposer à la navigation des escadres ottomanes d’un port turc à un autre. »

Les Anglais nous soupçonnaient d’être en secret favorables à une expédition que commandait le colonel Fabvier. La loyauté de l’amiral de Rigny dissipa facilement cet ombrage. Il fut des plus énergiques à blâmer une entreprise qui devait être pour lui « la source de difficultés nouvelles. » Les catholiques de Chio s’étaient réfugiés dans les consulats. Les Turcs en 1821 avaient respecté ces asiles ; les Grecs en 1827 n’hésitèrent pas à les envahir. Les catholiques furent indignement dépouillés ; « on enleva, nous dit l’amiral de Rigny, jusqu’à la dernière chemise de ces malheureux. » Tous les efforts de Fabvier demeuraient impuissans à prévenir de semblables désordres ; mais c’était aux marins chiotes, aux marins seuls, qu’il fallait, suivant le colonel, les imputer.

Codrington et Heïden venaient d’arriver à Malte quand ils apprirent la complication qui menaçait d’aigrir encore les griefs de la Porte. Heïden se montra le plus vif dans l’expression de son blâme. « Les Grecs, écrivit-il à l’amiral de Rigny, ont fait une grande folie en opérant une descente à Chio. Ils n’arriveront à rien et vont nous compromettre une seconde fois avec les Turcs. » Codrington, moins ému, s’en remettait à nous du soin d’arranger cette affaire. « Vous avez, mon bon ami, écrivait-il à ce frère d’armes, auquel depuis le 20 octobre il paraît avoir voué, avec la confiance la plus absolue, l’affection la plus sincère, vous avez un rôle difficile à remplir, mais personne ne saurait le jouer mieux que vous. »