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la réalisation devant la résistance unanime de l’Europe. Les conséquences de la journée du 20 octobre 1827 sont de trois ordres différens, elles se sont développées sur trois théâtres distincts ; nous essaierons de les suivre et de les démêler en Grèce, en Turquie et en Europe. Commençons d’abord par la Grèce ; c’est pour la Grèce qu’on avait combattu, c’est là qu’il fallait avant tout aviser.

Nous avions assumé une très grave responsabilité en venant nous jeter aussi résolûment en travers des desseins du sultan. — Si notre intervention ne ramenait promptement le calme et la sécurité dans l’Archipel, comment justifierions-nous le droit que nous nous étions arrogé d’intervenir ? Qu’elle rencontrât une approbation complète ou provoquât un blâme mal dissimulé, la bataille de Navarin n’en avait pas moins engagé les médiateurs beaucoup plus que ne l’eussent souhaité deux des signataires tout au moins du traité de Londres. On ne pouvait avoir fait couler tant de sang en vain. Il fallait montrer au monde que l’obstination de la Porte était réellement coupable, et que le peuple dont nous avions voulu l’affranchissement serait digne de prendre rang un jour parmi les nations civilisées. Les amiraux n’eurent pas besoin qu’on leur indiquât à cet égard leur devoir. La police des mers leur appartenait : en s’efforçant dès le lendemain même de la victoire d’extirper de l’Archipel le brigandage maritime qui y faisait chaque jour des progrès de plus en plus effrayans, leur but ne fut pas seulement de rassurer la navigation neutre ; ils se proposèrent aussi de ne pas laisser déshonorer la cause dont ils avaient pris en main la défense. La piraterie grecque était un des grands argumens invoqués par les adversaires d’une Grèce indépendante. Cet odieux système de rapines, qui prétendait s’autoriser de mainte argutie légale, serait devenu, si on l’eût toléré plus longtemps, un véritable scandale européen. Jamais les parages infestés de Salé, ni les débouquemens des Antilles n’avaient été témoins d’autant de pillages et de meurtres. La destruction de la flotte ottomane allait laisser les marins de l’Archipel sans emploi ; n’était-il pas à craindre que la piraterie ne trouvât dans cet état de choses un nouvel aliment ? « Les pirateries grecques, écrivait le 24 octobre 1827 l’amiral de Rigny, se sont élevées dans la dernière quinzaine à un point inoui jusqu’à présent. La mer est couverte de ces forbans. Ainsi, quand le sang français et anglais vient de couler en leur faveur, ces misérables, poussés par la cupidité, encouragés par l’impunité, pillent et maltraitent nos bâtimens de commerce. » À quelle autorité s’en prendre, dans un pays complétement désorganisé, de la continuation de ces désordres ? Le gouvernement provisoire était sans force ; ce fut au corps législatif que les amiraux crurent devoir s’adresser. Leur langage cette fois fut sévère ; il faisait pressentir des mesures énergiques et témoignait