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imprévu d’expressions la spectatrice a su rendre son ébahissement ! Le second croquis ne le cède en rien au premier. « Mme  de Péquigny a bien de l’esprit avec ses folies et ses faiblesses ; elle a dit cinq ou six choses très plaisantes. C’est la seule personne que j’aie vue qui exerce sans contrainte la vertu de la libéralité : elle a deux mille cinq cents louis qu’elle a résolu de laisser dans le pays ; elle donne, elle jette, elle habille, elle nourrit les pauvres ; si on lui demande une pistole, elle en donne deux ; je n’avais fait qu’imaginer ce que je vois en elle. Il est vrai qu’elle a vingt-cinq mille écus de rente, et qu’à Paris elle n’en dépense pas dix mille. Voilà ce qui fonde sa magnificence, pour moi, je trouve qu’elle doit être louée d’avoir la volonté avec le pouvoir, car ces deux choses sont quasi toujours séparées. » Il me semble qu’il ressort de ces deux croquis deux caractères bien féminins, dont les moules n’ont pas été brisés avec le XVIIe siècle. Mme  de Brissac est un mélange de coquetterie et d’égoïsme, où l’égoïsme domine. Si elle fait des mines pour tout le monde, c’est moins par le désir de plaire à ce tout le monde que pour se l’attacher et s’en faire servir, et pour cela elle utilise avec un art accompli jusqu’à ses coliques et à ses infirmités. Quant à Mme  de Péquigny, mélange de folie et de bonté, il serait assez difficile de dire si c’est par charité qu’elle est prodigue ou par prodigalité qu’elle est charitable. On rencontrerait sans trop chercher, je le crois, les modèles de ces deux croquis ; il n’y a que le peintre qui soit disparu sans retour.


II. — le paysage de l’allier. — le château de bourbon-busset. — la palisse.

On abandonne à regret Mme  de Sévigné : aussi est-ce encore à elle que nous demanderons la transition nécessaire pour passer à un nouveau sujet. Il y a presque toujours en nous une partie de talent que notre époque ne nous permet pas de développer, soit parce que ce talent n’est en nous que secondaire, soit, et c’est le cas le plus fréquent, parce qu’il est trop faible pour s’aider lui-même, et que, ne trouvant aucun secours dans les influences régnantes, il reste en nous stérile. Mme  de Sévigné en est une preuve frappante ; elle avait à un remarquable degré le sentiment de la nature, et cependant elle n’a pas été un peintre éminent de la nature. Le génie du siècle n’était pas tourné de ce côté, il lui manqua donc l’initiation qui lui aurait fait reconnaître que ce talent était en elle ; mais, si elle fût venue au monde un siècle plus tard, et si Rousseau eût remplacé pour elle Corneille et Nicole, nul doute qu’elle nous eût laissé autant de croquis de paysages qu’elle nous a laissé de croquis des personnes. Ce paysage de Vichy par exemple, elle en a senti très fortement la beauté. « Je vais être seule, et j’en suis fort aise, écrit-elle