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fer de Lunel à Aigues-Mortes, une route qui lui permettait de se faire une juste idée des alentours de la ville. Cette route traverse d’abord une plaine unie, plantée de céréales et de vignes, nivelée par les alluvions du Vidourle ; elle longe le beau village de Massillargues et arrive aux bords du Vidourle. Jadis torrentielle, aujourd’hui canalisée, cette rivière, au lieu de se perdre inutilement dans l’étang de Mauguio, a été dirigée en 1833 vers l’étang du Repausset, dont ses atterrissemens ont déjà diminué la profondeur ; ils ont même formé une île connue sous le nom d’île de Montagu. Après avoir passé le pont du Vidourle, la route traverse le village de Saint-Laurent-d’Aigouze. La plaine uniforme s’étend à perte de vue, mais la tour de Constance, qui s’élève à l’horizon, signale au voyageur le but de son excursion. Bientôt il se voit entouré de marais couverts de roseaux qui leur donnent l’aspect d’une prairie, et après avoir passé la petite rivière du Vistre, également canalisé, il aperçoit sur la gauche une éminence au sommet de laquelle s’élèvent les ruines de l’ancienne abbaye de Psalmodi, à laquelle saint Louis acheta en 1248 le territoire où il voulait fonder la ville d’Aigues-Mortes. Si ce voyageur est géologue, il remarquera que cette colline est couverte de cailloux semblables à ceux de la Crau, et forme un îlot de diluvium ancien au milieu du terrain d’alluvion moderne de la plaine environnante. À partir de ce point, la route est construite sur une chaussée élevée au-dessus des marais qui l’entourent des deux côtés, et l’on se trouve en face de la tour Carbonnière[1], ouvrage avancé des fortifications d’Aigues-Mortes. La route passait autrefois sous la tour, qu’elle contourne aujourd’hui. Tout le pays étant couvert de marais impraticables, ce passage était le seul par lequel on pouvait arriver à Aigues-Mortes en venant de Nîmes ou de Montpellier. Dans le moyen âge, c’était une défense sérieuse : une herse fermait la porte, un moucharabi la surmontait, et une plate-forme, flanquée d’une échauguette et surmontée d’un lanternon, permettait aux soldats de ce corps de garde avancé d’explorer le pays d’alentour. La tour Carbonnière est la préface des fortifications d’Aigues-Mortes, et prépare le visiteur à admirer les vieux remparts qui entourent la ville.

Avant d’en apercevoir les murs, nous reconnaissons l’empreinte géologique du mode de formation de la petite Camargue[2]. La route coupe une longue colline sablonneuse couverte de pins pignons, de chênes et de peupliers blancs, qui s’étend de l’est à l’ouest ; c’est une ancienne dune dont la partie orientale porte le nom de Pinède ou de Sylve Godesque ; elle est rectiligne, car, lorsqu’elle bor-

  1. Nom dérivé, suivant M. Topin, du nom du premier fonctionnaire qui perçut le droit de péage établi dans cette tour à la fin du XVe siècle.
  2. Voyez la feuille de Montpellier de la carte de l’état-major.