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cement de la Camargue depuis cette date jusqu’à nos jours. C’est près de cette tour que débouche le canal du bas Rhône, creusé récemment pour mettre le Rhône en communication avec le golfe de Fos. Le navigateur évite ainsi l’entrée toujours difficile de l’embouchure du fleuve, obstruée par des barres, semée de bas-fonds qui se déplacent sans cesse, et entourée de terres tellement basses que le pilote les distingue à peine des eaux qui les baignent. À l’embouchure de tous ces fleuves créateurs de deltas, on se trouve sur la limite indécise de la terre et de la mer, le fleuve cherchant à prolonger ses atterrissemens, et la mer détruisant dans ses colères les alluvions nouvelles qu’il dépose incessamment dans son sein.

Nous savons maintenant comment le grand Rhône, qui débouchait autrefois dans la mer au fond d’un golfe entouré de formations secondaires ou tertiaires, à la place même où la ville d’Arles a été bâtie, a créé le delta qui s’étend depuis cette ville jusqu’à la mer. Il nous reste à parler de la partie occidentale des atterrissemens du Rhône, œuvre de la branche correspondante du fleuve connue sous le nom de petit Rhône. Cette branche se sépare du grand Rhône à Arles même, un peu au-dessous du village de Fourques, dont le nom dérivé du latin furca, fourche, exprime parfaitement l’apparence du fleuve se bifurquant sous un angle très aigu. Actuellement le petit Rhône coule d’abord vers l’ouest, puis tourne au sud, passe près de la ville de Saint-Gilles, et par un cours sinueux arrive à la mer, où il se jette non loin du village des Saintes-Maries. Son embouchure se nomme le Grau d’Orgon. Le cours de cette branche a changé comme celui du grand Rhône. Au moyen âge, elle traversait les étangs qui entourent Saint-Gilles, passait à Aigues-Mortes et communiquait avec l’étang de Mauguio au sud-est de Montpellier et par lui avec ceux de Maguelonne et du grand lac salé appelé étang de Thau, qui sépare la ville de Cette de la terre ferme. C’est le grand étang appelé Taphros par les anciens, et cette bouche du Rhône portait le nom d’Ostium hispaniense. Deux cartes manuscrites[1] de la Bibliothèque nationale, l’une de 1588 par Gaspard Viegas, l’autre de 1584 par Bartolomé Olivès de Majorque, nous montrent le petit Rhône se jetant dans la mer en contournant l’île de Maguelonne, premier emplacement de la ville de Montpellier. La carte esquissée par Jean Bompar en 1591 est encore plus précieuse : elle représente les deux embouchures du grand Rhône et le petit divisé en quatre branches. La ville d’Aigues-Mortes est située sur la rive droite de l’une de ces branches non loin de son embouchure dans la mer.

  1. Voyez Desjardins, pl. XIII, fig. 1, 2 et 3.