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n’aurions pas grand’chose à dire. Les révolutions religieuses du XVIe siècle, dont le temps a démontré la légitimité, se sont souvent faites d’une façon peu différente de celle que nous venons de raconter. Il n’y a guère de mouvement dans l’histoire dont l’origine soit bien correcte ; mais il ne faut pas l’oublier : la majorité des catholiques libéraux, à supposer qu’elle soit réelle, est en Suisse peu considérable. Une réaction devra se produire, elle se produit déjà dans le Jura ; les difficultés pour recruter le clergé schismatique peuvent devenir presque insurmontables, il n’est pas impossible que les catholiques restés romains regagnent le terrain qu’ils ont perdu. Le propre des choses religieuses d’ailleurs est que la minorité a des droits égaux à ceux de la majorité ; en cas de schisme, elle doit avoir sa part dans la division des biens de l’ancienne société dissoute. Nous croyons donc qu’une seule chose est juste et légitime : procéder à la liquidation du catholicisme, par suite de rupture de société, dans les régions de la Suisse où le schisme s’est accompli ; diviser entre les deux partis les biens et les bâtimens de l’ancienne église au prorata du nombre de leurs adhérens, considérer les deux partis et ceux qui se produiront ultérieurement sur le pied de la plus complète égalité. À l’heure qu’il est, cet arrangement profiterait aux catholiques restés romains ; peut-être un jour profitera-t-il aux catholiques libéraux, si, selon l’éternelle loi des choses humaines, les vaincus d’aujourd’hui sont destinés à devenir des vainqueurs à leur tour.

On voit en tout cas que la position des pouvoirs fédéraux et cantonaux de la Suisse à l’égard du mouvement « vieux-catholique » n’a rien qui ressemble à la situation du gouvernement allemand. En Suisse, qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, un schisme est consommé ; en Allemagne, une forte protestation est organisée, cette protestation aura des conséquences durables ; cependant on ne peut pas dire que le catholicisme germanique soit scindé en deux églises rivales. En Allemagne, on voit difficilement quelle voie de recul reste au gouvernement pour sortir de l’impasse où il s’est engagé ; en Suisse, le gouvernement, pour satisfaire les libéraux les plus exacts, n’a qu’une ou deux mesures très simples à prendre, se déclarer étranger aux questions religieuses, ne pas se faire juge des dénominations confessionnelles, traiter sur le même pied toutes les églises sérieusement établies, et s’il plaît à M. Mermillod ou à M. Agnozzi de résider dans le pays pour exercer leur activité religieuse sous telle forme et sous tel titre qu’il leur plaira[1], ne pas plus s’en préoccuper que de la présence de tant d’étrangers qui viennent respirer l’air de la haute montagne et visiter les glaciers.

  1. Nous croyons qu’une mesure de ce genre a déjà été adoptée en ce qui concerne M. Agnozzi.