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sage. Il suffit de parcourir les dépêches de Guichardin pour recueillir les principaux traits de cette anarchie qui faisait alors, en plus d’une province, le fond ordinaire de la vie italienne.

« J’ai usé dans Reggio, écrit-il, de tous les genres de répression ; j’ai confisqué les biens, coupé les têtes, rasé les maisons, et n’ai pu encore triompher du mal. La nuit passée (30 octobre 1518), des bannis, fuorusciti, sont venus attaquer la propriété des Zoboli, à 2 milles des portes de la ville. Ils ont emmené les bestiaux et emporté un grand butin. Ils ont passé dans le Parmesan, puis traversé le Pô, et se sont réfugiés soit dans le Crémonais, soit sur les terres du seigneur Frederico da Bozzole, avec qui ils s’entendent. Hier matin dimanche (6 février 1519), un des Zoboli, avec quelques compagnons de bas étage, assassina en pleine église, pendant la messe, à coups de poignard, un des Fontanelli et un des Malaguzzi. Les assassins avaient des chevaux tout sellés ; les cavaliers de la garde les ont poursuivis, mais ils avaient assez d’avance pour gagner le territoire de Coreggio, dont les frontières ne sont qu’à 5 ou 6 milles. J’ai grand soupçon que quelques-uns des vieux Zoboli, dans Reggio même, ont eu la main dans cette affaire ; j’userai de toute diligence pour trouver la vérité et punir. »

En Romagne, c’est pis encore peut-être. On est là, comme aux siècles les plus cruels du moyen âge, en pleine guerre des guelfes et des gibelins. La scène n’en est pas plus politique : elle n’est pas moins violente et sauvage. La superstition populaire y occupe une large place. Un moine a séduit une femme et empoisonné le mari. Guichardin le fait condamner à mort : il est pendu ; mais voilà que, pendant la nuit après le supplice, la terre tremble, les eaux de la montagne se gonflent et inondent la plaine : le peuple effrayé s’écrie que ce moine était magicien, et qu’en mourant il a jeté un sort sur la contrée. L’embarras de Guichardin est curieux à suivre : il explique, il se justifie ; il a ordonné une soigneuse enquête dans le château isolé que ce moine habitait ; ce pouvait bien être un sorcier, dit-il, mais du dernier ordre et fort peu redoutable. — Guichardin, dans ses dépêches d’Espagne, avait parlé sans réprobation aucune de l’inquisition d’Espagne et des auto-da-fé ordonnés par Ferdinand le Catholique ; nous le voyons ici hésitant en présence de ces ridicules soupçons de magie et de sorcellerie. Il se montrera en d’autres occasions esprit très libre ; mais la vérité est qu’il a été de son époque, dont il réunissait seulement en lui les divers aspects.

Cette anarchie intérieure, à peu près générale, n’étouffait pas la merveilleuse fécondité des arts : c’était encore le temps de Raphaël et de Michel-Ange ; Benvenuto Cellini maniait également le ciseau et l’escopette ; Luini exécutait ses grandes fresques dans le Milanais ravagé par la guerre ; avec une somme d’argent oubliée par les Fran-