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en place, est une énorme pierre équarrie dont les deux faces opposées se relèvent en cornes pour maintenir l’animal qu’on y égorgeait ; elle repose sur des assises de brique crue, et appartient manifestement à la ville de briques et non à celle de pierres.

M. Schliemann avait presque terminé les fouilles qu’il avait entreprises et se préparait à quitter la Troade, lorsqu’un dernier coup de pioche sur le haut du gros mur, à gauche de la porte et au pied même du mégaron, mit au jour des vases de métal et d’autres objets également en métal, réunis et quelquefois soudés ensemble par l’incendie ; ils étaient groupés dans un petit vide quadrangulaire et semblaient avoir été contenus dans un coffre de bois que le feu aurait détruit et fait disparaître. C’étaient des vases d’or et d’argent, des colliers d’or, des parures de femme, des bagues, des boucles et pendans d’oreilles en alliage d’or et d’argent, des armes de cuivre. La place où ce trésor venait d’être trouvé et l’état où il était par suite de l’action d’un feu violent prouvaient clairement qu’il provenait du palais au pied duquel il avait été abandonné, et du seigneur qui habitait ce palais au moment de l’incendie.

Si maintenant nous rapprochons les faits qui viennent d’être brièvement énumérés, et si nous comparons Hissarlik à Bounar-Bachi, il ne peut nous rester de doute. Les hauteurs de Bounar-Bachi, non plus que celles de Chiblak et d’Atchi-Kieui, n’ont jamais été occupées par une forteresse de quelque importance ; les débris s’y réduisent presque à rien, et les plus anciens ne remontent pas au-delà du vie siècle, époque de Solon et de Pisistrate. À Hissarlik, que l’antiquité regardait comme le site de Troie et dont la colonie grecque porta toujours le nom d’Ilion, les fouilles n’ont atteint le sol vierge, le rocher, qu’à 16 mètres de profondeur. Les couches de décombres dont se compose cet énorme remblai montrent cinq et peut-être six époques successives. La plus basse est d’une antiquité extrêmement reculée. La seconde, faite de cendres et de terres brûlées, porte partout les traces d’un immense incendie, les maisons sont de briques crues ; elle avait une enceinte puissante, un autel de Minerve, un palais habité par un riche seigneur. La troisième couche, formée de terre, renferme des maisons de pierres réunies avec de la boue. Il en est de même de la quatrième. Au-dessus de celle-ci, une couche très mince recèle des vases qui semblent de provenance lydienne. La sixième couche est d’abord grecque archaïque, puis hellénique des bonnes époques, gréco-romaine et enfin impériale. Il semble qu’entre l’époque ancienne et l’établissement de la colonie grecque au viie siècle il se soit écoulé un long espace de temps durant lequel ce lieu est demeuré désert. De même après la destruction de l’Ilion gréco-romain sous Constance II la colline a cessé d’être habitée ; on ne trouve à la surface aucun reste byzan-