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cher sur nous par grandes masses, ils s’avançaient d’heure en heure, et nos corps restaient indéfiniment fractionnés sur cette longue ligne entre Thionville et Belfort, séparés par les Vosges. La communication la plus directe entre eux était par le chemin de Bitche, qui longeait la frontière et qui pouvait être coupé d’un moment à l’autre. Qu’on se représente cette situation déjà presque irréparable : si les corps de la Moselle essayaient de se rallier à ceux qui étaient en Alsace, le prince Frédéric-Charles arrivant sur la Sarre pouvait se jeter à leur suite ; si les corps de l’Alsace tentaient de se replier à travers les Vosges sur le gros de l’armée de Metz, ils pouvaient être suivis par le prince royal s’élançant sur leurs traces par la Lauter. S’ils restaient tous dans les positions où ils se trouvaient, ils étaient menacés d’être attaqués en détail. Voilà la vérité des choses !

Lorsque l’empereur Napoléon III était arrivé le 28 juillet à Metz, — quatre jours avant que le roi Guillaume arrivât de son côté à Mayence, — il n’avait pas tardé à être saisi par cette confusion qui était autour de lui, et que le maréchal Lebœuf n’avait certes point réussi à éclaircir. N’ayant ni l’habitude de la guerre, ni l’activité d’esprit nécessaire, ni même la force physique, il semblait se perdre au milieu d’un tel chaos et s’affaisser sous le poids de ce commandement auquel eût à peine suffi l’énergie la plus résolue servie par la prévoyance la plus sûre. Il plaçait et déplaçait les corps, qui finissaient par se rapprocher de la frontière, le 2e prenant position en avant à Forbach, le 3e à Saint-Avold, le 4e à Boulay et à Boucheporn, tandis que le 5e, placé d’abord à Bitche, était appelé en partie à Sarreguemines, au risque de laisser le 1er corps presque seul en Alsace. Un jour, la garde recevait à peu d’intervalle l’ordre de quitter Metz, puis de rester dans ses bivouacs, puis de se diriger sur Volmerange, puis enfin de s’arrêter pour se rendre le lendemain à Courcelles. Les contre-ordres suivaient les ordres, se traduisant pour les troupes en marches et en contre-marches aussi fatigantes que ruineuses pour le moral militaire. Poussé par une opinion impatiente d’action, retenu par le sentiment de la réalité qui le pressait, assailli de bruits contraires et vagues sur l’importance, sur les mouvemens des forces ennemies, l’empereur faisait comme tous les hommes irrésolus, il agitait tous les projets pour ne s’arrêter à aucun, pour finir par une pauvre fantaisie, — l’aventure de Sarrebruck ! L’empereur n’avait-il d’autre dessein que d’offrir à un enfant, au prince impérial qu’il avait emmené avec lui, l’occasion d’assister à une représentation militaire dirigée par son gouverneur, le général Frossard ? Je ne veux pas le dire. Depuis plusieurs jours, il tâtonnait, voulant essayer une reconnaissance offensive et ne sachant où la diriger ; il s’était décidé pour Sarrebruck.