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tion féroce qui lui fait épouser avec chaleur tout parti où il croit trouver pâture pour ses passions. Ne lui ayant pas permis de venir chez moi, quoiqu’il me l’ait fait demander par deux reprises, je ne puis juger de lui que d’après ce qu’on m’en a dit. » Les réponses de Catherine, même celles destinées à être montrées au régent, sont sur le même ton. « Je diffère, écrit-elle, de répondre à la lettre de mon cousin le régent… J’approuve les assurances que vous avez données de ma facilité à oublier les offenses qu’on me fait toutes les fois que j’aperçois des intentions sincères de les réparer et de n’y plus revenir ; mais il me faut des preuves palpables de ces dernières. » Et la seule preuve palpable qu’elle en admît, c’était qu’on hâtât le mariage russe. « Je tiens d’autant plus à cette idée, ajoutait Catherine avec un mélange d’orgueil maternel et d’orgueil impérial, que, sans me laisser aveugler par ma tendresse pour ma petite-fille, en la donnant pour reine à la Suède je lui fais le plus beau présent que l’on puisse faire au roi et au royaume. » Tout d’abord elle entendait que Gustave vînt à Saint-Pétersbourg ; si on lui objectait les lois fondamentales qui défendaient au souverain de sortir de ses états, elle répondait que la minorité du prince est « abrégée, aux yeux de tout le monde, par ce qu’on sait de la maturité de son jugement et des progrès de son âge, avancés par un heureux naturel et les soins de son éducation. » On voit pourtant que Budberg s’efforçait de ne lui laisser, sur le mérite transcendant du monarque suédois, aucune illusion.

Vers cette époque, Budberg fut appelé à Saint-Pétersbourg pour s’entendre avec l’impératrice. Son départ produisit une vive émotion dans l’opinion suédoise, qui commençait à goûter les avantages de la paix entre les deux empires. Le duc de Sudermanie écrivit à la tsarine pour la prier de renvoyer le plus vite possible Budberg à Stockholm, s’engageant à donner à la Russie pleine satisfaction. L’ambassadeur fut reçu cette fois avec une cordialité qui contrastait avec la froideur et la mauvaise volonté des premiers jours. Quant à Reuterholm, il avait fait volte-face complète : la Russie dut se résigner à voir en lui un de ses partisans les plus dévoués. — Catherine II s’impatientait de tout délai. Enfin Budberg put annoncer à sa souveraine le prochain départ du roi et du régent sous les noms de comtes de Haga et de Wasa. Il demandait à rester à son poste d’ambassadeur à Stockholm. « La nécessité vraiment impérieuse de ne pas abandonner pendant l’absence du roi et du régent les intérêts de ces princes aux machinations et à l’esprit remuant des malveillans du pays, encouragés par le concours des intrigues étrangères, commande les plus grandes précautions. Ce n’est qu’en les surveillant sans relâche qu’on peut assurer la tranquillité à cet