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lui, il n’eut point pour sa mémoire la reconnaissance, ou, si l’on veut, l’indulgence filiale des deux aînés.

Catherine II dit dans une de ses lettres que, Monsieur Alexandre devenant chaque jour plus questionneur, elle lui avait composé un petit écrit auquel il avait si bien pris goût qu’il se le faisait répéter tous les jours, et avait fini par l’apprendre par cœur. Un conte de Catherine, pour un âge plus avancé, commence par une description de la foire de Mittau en Courlande. Monsieur Alexandre y apprendra comment à ce marché important de l’empire accourent les négocians de la Prusse, de la Poméranie, de la Courlande. Cette foule s’écarte tout à coup pour laisser passer un bruyant équipage, entouré d’estafiers et de laquais, et dans lequel se prélasse un homme. C’est un des notables de la ville. À son propos s’engage un dialogue entre un marchand et son fils. Qu’est-ce qu’un notable ? qu’est-ce que la considération, qu’est-ce que l’estime ? Comment peut-on s’en rendre digne ? et comment peut-on estimer ceux qui sont morts depuis longtemps ? Pourquoi la mémoire de Titus, est-elle vénérée et celle de Domitien exécrée par des gens qui pourtant ne les connaissent point personnellement ? On devine l’application morale que le marchand tire de cette comparaison. C’est ainsi que Catherine II du même coup amusait et instruisait ses petits-fils, tout en les initiant à la géographie commerciale de l’empire et en leur faisant pressentir les grandes scènes de l’histoire de Rome ; c’est ainsi qu’elle s’arrachait aux soucis du pouvoir et aux passions absorbantes pour chercher d’ingénieux moyens d’éveiller ses petits-fils à la vertu et à la science, et que de ses mains victorieuses elle rédigeait l’A B C de la grand’mère et les Instructions pour le gouverneur des grands-ducs. Elle composait cette « bibliothèque alexandro-constantine » dont elle envoyait des spécimens aux altesses en voyage, et qui, ainsi qu’elle le dit elle-même, faisait le tour de l’empire et de l’Europe. Dans la pénurie où l’on était alors de bons livres pour l’enfance, elle eut même en 1784-88 les honneurs de la publicité à Berlin et à Stettin. Après les contes viennent les cahiers de préceptes moraux tirés de l’histoire ancienne et même de l’histoire russe. Catherine II y raconte avec de singuliers ménagemens la vie de cette sainte Olga qui, pour venger son mari, extermina en trahison le peuple des Drevlianes. Olga, que le moine Nestor nous représente dans sa barbarie native, sanguinaire et perfide comme une vraie fille des pirates normands, est fort humanisée dans le récit de Catherine. Sans doute elle arrête les députés drevlianes ; mais on n’ose pas dire qu’elle les ait fait brûler vifs dans un bain ou enterrer vifs dans une fosse. Si le feu prend à la bourgade de Korostène, c’est par accident et nullement parce que la princesse a lâché dans les greniers des pigeons et