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des tours Notre-Dame. La cour au moins trouve-t-elle grâce à ses yeux ? Pas davantage. Catherine II est rarement indulgente pour les femmes : c’est en cela surtout qu’elle se montre femme. Elle dissimule mal son dédain pour Marie-Antoinette, cette reine de France dont elle allait pourtant quelques années plus tard poursuivre la vengeance. « Que Dieu bénisse, s’écrie-t-elle, la reine très chrétienne, ses pompons, ses bals et ses spectacles, son rouge et ses barbes bien ou mal arrangées ! Je ne suis pas fâchée que tout cela vous ennuie et augmente en vous l’envie de revenir. » Leurs altesses visitent ensuite la Loire, Brest, Amiens, puis la Belgique et la Hollande, où ils retrouvent la trace de Pierre le Grand.

Après tant de fêtes dans toutes les cours de l’Europe, la grandiose nature, la sublimité rustique de la Suisse devait attirer les augustes touristes. « À vrai dire, leur écrit Catherine II, je ne suis pas fâchée que vous ayez vu ces républicains chez eux. Cela vaut mieux, et cela est plus instructif que les bals ou les fêtes dont je crois que l’insipidité et la monotonie ont dû vous ennuyer à l’excès. » Les troubles de Genève lui fournissent un naturel prétexte pour montrer le revers de la médaille : « La ville de Genève sera bien gouvernée, les pieds ayant pris le dessus sur les têtes ! Ces gens-là font depuis plusieurs années tout au monde pour se ruiner. On dit que c’est Rousseau qui a mis le feu aux étoupes, et que Voltaire n’y a pas peu contribué aussi. » Passe encore pour Jean-Jacques, dont elle range ailleurs l’Émile parmi les livres « contre la loi et les bonnes mœurs qui doivent être prohibés dans le monde entier ; » mais Voltaire, à qui elle adresse des lettres si caressantes, des pelisses si chaudes, et des tabatières tournées de ses propres mains impériales ! Dans une autre lettre, elle prescrit à Staal, chargé d’accompagner ses élèves les jeunes princes de Holstein, de ne pas aller à Genève ni à Lausanne « pour ne pas se trouver dans le voisinage de Voltaire. » Il est bon de dévoiler ces petites trahisons envers son bon ami de Ferney. Pourtant elle avait recommandé à son fils de visiter Voltaire en Suisse et Galliani à Naples. Leurs doctrines n’étaient pas dangereuses pour une tête comme la sienne. Il paraît, lui écrivait sa mère, que « mon patron n’a pas fait sur vous plus d’impression que Galliani. » Après avoir vu chez eux les républicains d’Helvétie et de Hollande, et conversé avec les grands hommes du siècle, Paul resta ce qu’il était, foncièrement despote comme devant.

Quelquefois éclate dans les lettres de Catherine une sincère affection pour son fils et sa bru, et elle exprime d’une manière charmante le regret de leur absence. « Vos enfans se portent à merveille ; mais eux et moi nous avons beau chercher, nous ne vous trouvons pas ici. J’avoue qu’en arrivant et en trouvant toutes vos portes ouvertes et