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des cieux et la couronne des élus que portaient les contemplations de la jeune fiancée. Pourtant c’est à cette époque qu’il faut rapporter un aveu qui lui échappe dans ses Mémoires à propos du grand-duc. « Pour moi, dit Catherine II, vu ses dispositions, il m’était à peu près indifférent ; mais la couronne de Russie ne l’était pas. »

La princesse Jeanne-Élisabeth, que nous voyons ici livrée à ces inquiétudes maternelles, n’avait encore que trente-deux ans. Même à côté de sa fille, elle pouvait paraître jeune. À son insu peut-être, elle n’était pas sans lui porter une secrète envie. Ses remontrances étaient aigres, souvent injustes. Elle ne s’en tenait pas toujours aux paroles ; « je craignais d’être souffletée, dit Catherine II, si je n’étais pas de son avis. » Dans la grave maladie que fit Sophie, sa mère montra peu d’égards pour son état, se querellant avec les médecins, reprochant à la patiente les gémissemens que lui arrachait la souffrance. Ces sérieuses Allemandes ne sont pas toujours exemptes des faiblesses féminines : celle-ci convoitait certains chiffons, une étoffe bleue et argent qui appartenait à sa fille ; elle ne put se tenir de la demander, et l’on trouva « qu’il était bien imprudent à une mère de causer à son enfant mourante un tel déplaisir. » Toujours besoigneuse et dépensière, elle endetta maladroitement sa fille et lui attira de fâcheuses remontrances. Enfin elle trouva moyen d’avoir de vives et fréquentes querelles, même avant le mariage, avec son neveu le grand-duc. Telle est la princesse des Mémoires ; il était bon de la présenter au lecteur avant de continuer à parcourir sa correspondance. On pourra mieux apprécier ce qu’il y a de sensibilité réelle dans les larmes dont elle va nous inonder en nous racontant l’abjuration de sa fille.

Les paroles mêmes de la profession de foi, la narratrice ne les comprend pas ; cela ne l’empêche pas de les trouver bien touchantes et de pleurer comme une fontaine lorsque sa fille, « d’une voix nette et claire et d’une prononciation qui a étonné tout le monde, récita tous les articles sans broncher d’une syllabe. J’étais déjà par avance si sensiblement touchée que son premier mot n’eut pas parti que je fondis en larmes. Sa majesté impériale avait le visage tout couvert à tous les yeux. Tout ce qui était là faisait vœu avec nous ; les vieillards sanglotaient ; tout ce qu’il y avait de jeunes gens avait la larme à l’œil. » Pourtant qu’aurait dit le prince d’Anhalt, le descendant de ces princes du nord qui déclarèrent la guerre au pape et à l’empereur pour soutenir la thèse de Luther, que la foi justifie et non les œuvres, qu’aurait-il dit s’il avait entendu son héritière lire, de sa voix nette et claire, la proposition orthodoxe : « je crois et je confesse que la foi n’est pas suffisante pour notre justification ? »

Le lendemain de ce jour mémorable eurent lieu les fiançailles. Les archevêques de Novgorod et de Moscou firent l’échange des an-