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Un moment cependant, les ennemis de Sophie eurent une lueur d’espérance. Quinze jours après son arrivée à Moscou, elle fut prise d’une pleurésie et resta pendant près d’un mois entre la vie et la mort. Au XVIe siècle, on eût pu croire aux maléfices d’un vrémenchik jaloux : on eût accusé Bestouchef d’avoir soudoyé quelque sorcière ou quelque empoisonneuse ; mais la maladie n’avait d’autre cause qu’une imprudence de la jeune fille ; comme il arrive souvent aux étrangers, elle ne s’était pas assez défiée du climat. L’impératrice se montra parfaite en cette occasion, pleura sur le danger de sa parente et ne voulut pas entendre parler de sa rivale. La joie indiscrète du parti saxon l’irrita. « Le diable m’emporte, s’écriait-elle dans son langage un peu cavalier, s’ils en tirent profit ! Jamais je ne prendrai la Saxonne. » Frédéric fit preuve ici de son insensibilité et de sa politique habituelles. Un soldat tué à son poste, on le remplace par un autre soldat, et tout est dit. La princesse d’Anhalt étant à la mort, il s’était déjà mis en quête d’une autre cliente à proposer, la princesse de Wurtemberg.

Sophie guérit. Alors se posa la question de la conversion à l’orthodoxie. Ici on allait se heurter à la résistance énergique de son père, le vieux luthérien. L’attitude de la mère elle-même, quoique moins croyante et plus ambitieuse, n’était pas entièrement rassurante. Frédéric II écrivait à la princesse pour la prier de vaincre la répugnance de sa fille. Il n’y avait aucune concession à espérer de l’impératrice. Élisabeth, malgré le dérèglement de ses mœurs, était fort dévote ; elle observait rigoureusement jeûnes et carêmes, allait aux pèlerinages en renom, accordait à son confesseur une grande influence. Par intervalles, dans sa vie oisive et dissipée, elle avait de subites langueurs religieuses et parlait d’entrer au couvent. Comme les vieux Russes, elle croyait aux maléfices et à la vertu surnaturelle de certaines herbes. Politique, superstition ou conviction religieuse, elle était décidée à ne pas transiger sur la question d’abjuration. Alors Jeanne-Élisabeth consentit à ce que sa fille eût des entretiens avec le confesseur du grand-duc. « Il venait entretenir notre fille deux heures par jour, raconte-t-elle dans sa relation. Plus ils avançaient chemin, plus l’écolière se trouvait contente des lumières qu’il lui donnait. Il connaît à fond les trois religions : ayant longtemps étudié à Halle, il s’est préférablement appliqué à la luthérienne. Il sait nos appréhensions contre certains rites extérieurs de la sienne… Il est plus propre qu’homme du monde à démontrer les préventions mal fondées dont, soit ignorance ou indolence, nous sommes bercés. » — « J’ai hésité plusieurs jours à vouloir l’entendre, écrit-elle encore dans une de ses lettres allemandes, mais j’en puis jurer par Dieu : en réalité, je ne trouve pas d’erreur dans sa croyance. J’ai parcouru tous les articles avec lui, de même que