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serait inexacte entre ces rongeurs de bois et le phylloxera, qui, suçant la vigne au moyen d’une trompe délicate, laisse les tissus mourans pour aller en trouver de sains, voyage du cep souffrant au cep vigoureux, et abandonne la sanie des radicelles putréfiées pour se nourrir des sucs des racines ou de feuilles pleines de vie.

Reste la prétendue dégénérescence qui résulterait de la longue succession du bouturage ou de la marcotte appliquée à nos vignes cultivées. En laissant de côté la question d’ensemble, c’est-à-dire l’influence que ces pratiques de bouture, de greffe réitérées, auraient sur les plantes en général, je restreindrai la question à la vigne, et je demande au simple bon sens de la trancher. Comment croire que simultanément, sur les points les plus divers de l’Europe, dans des serres et en plein air, des cépages de tout genre, les plus robustes comme les plus délicats, se sont trouvés dégénérés, et partant sont devenus la proie d’un insecte surgi juste à point pour les détruire ? Cette dégénérescence se serait produite sous l’influence d’une cause générale, mais elle atteindrait justement les pieds de vigne où l’on trouve le phylloxera ; elle se propagerait comme le phylloxera lui-même d’un cep à l’autre, ou bien par sauts, à des kilomètres d’intervalle, si bien que les pieds phylloxérés devaient l’être parce qu’ils étaient dégénérés. C’est la prédestination transportée au monde végétal ; mais alors pourquoi ne pas en dire autant des moutons que mangent les loups ou des choux que dévorent les chenilles ? C’est ainsi qu’on tombe dans l’absurde en cherchant des explications subtiles en dehors des faits patens. Laissons là cette discussion, et venons-en aux argumens clairs et simples qui démontrent l’action directement nuisible du phylloxera sur la vigne saine.

D’abord un fait domine et juge tout le débat, c’est l’origine exotique de l’insecte, c’est l’apparition de la maladie sur les points où le hasard fait arriver le parasite avec des pieds infectés de la plante. À ces exemples d’infection involontaire se joignent comme argumens plus probans encore les exemples d’infection volontaire et préméditée, véritables expériences faites dans le cabinet ou même en plein champ, ces dernières d’autant plus concluantes que ceux qui les ont entreprises [1] attendaient un résultat négatif au lieu du résultat positif qui s’est produit sous leurs yeux. Dans tous ces cas en effet, des racines phylloxérées étant mises au contact de vignes saines, les insectes se sont portés sur ces dernières en y provoquant les mêmes symptômes morbides qui se présentent en grand sur les vignobles atteints de la maladie. Un de ces symptômes, le plus caractéristique peut-être, du moins celui par lequel le mal débute presque toujours, c’est la production sur les radicelles ou le chevelu

  1. M. le baron Serres à Orange, M. Delorme en Camargue.