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d’être appelés devant la commission : c’est le conseil de guerre, disent-ils ; ils se trompent, c’est le conseil de famille.


III. — Les fraudes.

L’histoire naturelle nous apprend que chaque animal a un parasite qui vit de lui et se nourrit de sa substance ; au cours de ces études, nous avons vu qu’il en est de même pour les administrations : chacune d’elles a un ennemi particulier. La Banque de France a le toupinier ; l’assistance publique a le faux indigent ; le Mont-de-Piété a le chineur ; l’octroi n’échappe point à cette loi commune, il a son adversaire spécial qui est le fraudeur. Il n’a heureusement rien de commun avec son grand parent le contrebandier : celui-ci fait volontiers le coup de feu, marche en troupe et ne se gêne pas pour jeter le douanier au ravin ou à la mer. Le fraudeur est moins dramatique ; comme Panurge, « il n’aime pas les coups, lesquels il craint naturellement, » et pour éviter d’en recevoir il n’en donne jamais. Il est humble d’allure, d’aspect tranquille : à le voir, on lui donnerait le bon Dieu sans confession ; mais il ne faut pas s’y fier : s’il n’a ni le courage ni l’audace, il a la ruse et la persistance. À ce point de vue, il est dangereux ; une filouterie permanente est plus préjudiciable qu’un seul vol avec effraction. Réprimer la fraude, découvrir les fraudeurs, dérouter leurs machinations, lutter d’imagination, de patience avec eux et s’en rendre maître, c’est pour l’octroi un intérêt de premier ordre.

Un service spécial, le contrôle-général, est particulièrement chargé de cette surveillance ; il est composé d’un peloton d’élite choisi homme à homme parmi les préposés les plus intelligens, les plus actifs et les plus sagaces. Trente-trois employés commandés par un inspecteur pour tenir en respect tous les fraudeurs qui pullulent à Paris, c’est bien peu, et ce n’est pas tout ce que ces braves gens ont à faire : ils ont à s’occuper de l’octroi de banlieue, du marché aux bestiaux ; ils ont à regarder du côté des carrières, c’est-à-dire des catacombes qui ont des issues hors de l’enceinte ; ils ont à s’assurer si tout marche à souhait dans les différens postes. Quinze employés sont constamment sur pied pour ces différens services : il n’en reste que dix-huit réservés à la constatation des fraudes ; c’est le bataillon sacré. Il leur importe avant tout de n’être point remarqués, ils ne revêtent donc jamais d’uniforme et changent souvent de costume ; ils n’ignorent aucun des coins mystérieux de Paris et connaissent tous les détours de la banlieue. Ils sont sceptiques et ne se fient guère aux apparences. Lorsqu’ils voient dans une gare de marchandises deux énormes blocs de granit arrivant