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chappée latérale. Si, revenant au Scamandre, nous continuons à en remonter l’ancien cours, une marche de 2 lieues dans la direction du sud-est nous conduit à un marais plus ou moins cultivé, à l’est duquel est le village d’Atchi-Kieui ; il est situé sur une colline au pied de laquelle coule une rivière appelée aujourd’hui Kemar et autrefois Thymbrios. Bounar-Bachi est à une lieue de là sur la droite, c’est-à-dire vers le sud-ouest. Ce village s’étend sur le penchant d’une colline tout au fond de la plaine de Troie à l’endroit où le Scamandre sort des montagnes pour devenir lent et stagnant ; ce fleuve du reste ne passe point à Bounar-Bachi, il reste à près d’une demi-lieue sur la gauche. Derrière le village, il entoure de deux côtés des collines rocheuses, escarpées du côté du fleuve et en pente douce du côté du nord. Sur le haut de ces éminences, on aperçoit trois grands tumuli ou tertres de forme conique et rangés en ligne.

C’est là que la plupart des critiques modernes depuis la fin du siècle dernier ont placé la ville de Troie et la citadelle de Pergame. On a considéré ces tumuli comme des tombes de héros troyens, et les sources de Bounar-Bachi comme celles où les jeunes Troyennes allaient laver leurs vêtemens. Cette idée étant admise, on n’a plus eu qu’à faire concorder l’Iliade avec la configuration du pays et à donner un nom ancien à chaque site indiqué par Homère. Quant à Atchi-Kieui, un seul critique, M. Ulrichs, a voulu y reconnaître le site d’Ilion. Cet auteur, qui avait déjà tenté de bouleverser la topographie d’Athènes, n’a été suivi de personne dans ses opinions sur la Troade. Chiblak n’a pas eu un meilleur sort : MM. Glarke et Barker-Webb soutinrent en 1844 que là avait été la ville de Troie ; mais la position topographique de ce village, situé dans une vallée latérale et tourné au sud, ne convenait en aucune manière aux faits donnés par la tradition classique.

La lutte se simplifiait donc et n’existait plus qu’entre Hissarlik et Bounar-Bachi. Jusqu’au commencement du iie siècle avant Jésus-Christ, toute l’antiquité grecque plaçait Ilion à Hissarlik. Là en effet, postérieurement à la guerre de Troie, s’était établie une colonie grecque portant le nom d’Iliens et datant au moins du viie siècle. La tradition des anciens est attestée par Hérodote, par Xénophon, Arrien, Plutarque, Justin, par Strabon même, qui admet une opinion différente. Vers l’année 180 avant Jésus-Christ, au temps où les érudits alexandrins discutaient les textes d’Homère et les questions de topographie qui s’y rattachaient, un critique né dans une petite ville voisine et poussé peut-être par quelque intérêt patriotique, un certain Démétrius de Scepsis, avança que Troie n’avait pu être là où les anciens la plaçaient : il disait que l’espace compris entre la ville des Iliens (Hissarlik) et la mer n’était tout