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collection des objets dus à la généreuse munificence de MM. les barons Gustave et Edmond de Rothschild, et découverts, à la suite des fouilles pratiquées pour eux et à leurs frais en Asie-Mineure, par MM. Rayet et Albert Thomas. M. Rayet s’était préparé à cette fructueuse mission par ses années d’études à l’école française d’Athènes ; M. Thomas, architecte pensionnaire de l’académie de Rome, s’est adjoint à lui spontanément, comme naguère M. Edmond Guillaume avait été adjoint à M. Perrot, et M. Daumet à M. Heuzey. La région explorée par les fouilles de MM. Rayet et Thomas est la vallée inférieure du Méandre, une partie de l’immense plaine qui formait jadis le golfe Latmique, avant que les atterrissemens du fleuve n’eussent refoulé la mer bien loin vers l’ouest. Là s’élevait jadis la puissante cité de Milet, la capitale de la douce Ionie. Là, comme dans une serre chaude, l’hellénisme a produit des fruits hâtifs et plus tard des fruits d’arrière-saison d’un aspect et d’une saveur extraordinaires. Il y a rencontré le voisinage et l’exemple d’une civilisation, d’un art indigènes, tout empreints de la marque orientale, et dont il est très intéressant de rechercher aujourd’hui l’influence et le rôle. La grande architecture et son annexe la sculpture architecturale semblent avoir été les interprètes naturels des premiers siècles de l’art oriental et grec ; on se rappelle les rochers sculptés de l’Asie-Mineure, si bien décrits par M. Perrot ; la construction des temples paraît avoir précédé l’essor de la statuaire. Celle-ci, à la vérité, s’est développée aux époques ultérieures dans les villes d’Asie-Mineure aussi bien qu’en Grèce même avec une fécondité incroyable ; mais ses œuvres étaient délicates, elles ont péri en grand nombre, et il faut s’attendre, par plusieurs raisons, à retrouver aujourd’hui dans ces vastes ruines qui couvrent les plaines d’Asie-Mineure des débris imposans d’architecture plus souvent que des statues intactes. C’est l’architecture qui triomphe ici, et de fait elle traduit à sa manière, dans son grand langage, les diverses civilisations : il y a tel chapiteau, telle base sculptée qui peut être aujourd’hui pour nous la révélation de toute une page de l’histoire de l’art.

Les fouilles de M. Rayet se sont étendues à l’emplacement de l’ancienne Milet, où se retrouvent en ruines le théâtre, plusieurs thermes, un gymnase, et la voie sacrée qui conduisait du côté du sud vers le temple d’Apollon didyméen ; puis aux ruines de ce temple même, dans la partie de la plaine occupée aujourd’hui par le village grec de Hiéronda ; enfin au hameau turc de Kapi-Kere, là où s’élevait jadis la ville d’Héraclée du Latmos. Au nombre des objets archaïques par lui rapportés et que MM. de Rothschild ont offerts au Louvre, on remarquera un lion massif en marbre blanc, précipité jadis sans doute du haut de quelque tombeau monumental. La recherche avec laquelle l’artiste a rendu les allures et la pose de l’espèce féline, la manière dont la crinière est indiquée, distinguent absolument ce lion sculpté des autres lions grecs déjà